Jouer la victime dans le couple : comment sortir des rôles figés pour retrouver désir, confiance et lien
Dans de nombreuses relations amoureuses, les conflits tournent en boucle. L’un se sent incompris, accablé, impuissant. L’autre s’épuise, se ferme ou se rebelle. Mais derrière ce scénario souvent douloureux, se cache un schéma relationnel inconscient : l’un des deux joue (souvent sans le vouloir) la victime dans le couple.
Quand la plainte devient le seul langage du lien ...
Souvent, ce schéma s’enracine dans une dynamique inconsciente mais puissante : l’un·e endosse le rôle de victime, l’autre glisse dans celui de sauveur ou de persécuteur. Un triangle dramatique se met alors en place, et avec lui, la sexualité, l’élan, la tendresse… se figent.
Cet article vous aide à identifier les signes de la posture victimaire, à comprendre les mécanismes psychologiques et relationnels en jeu, ainsi qu'à découvrir des pistes thérapeutiques concrètes pour sortir du triangle dramatique et retrouver l’intimité dans le couple.

Se victimiser dans le couple : un piège inconscient mais destructeur
Il ne s’agit jamais de nier une souffrance bien réelle. Oui, certaines personnes subissent des injustices, du rejet, des trahisons. Mais parfois, cette souffrance se fige et devient une identité de victime dans le couple, source d’un déséquilibre profond.
Dans son excellent ouvrage "Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir du piège ?", Christelle Petitcollin (2021, Éditions Jouvence) décrit le triangle relationnel infernal qui se met en place dans certaines relations : l’un souffre, l’autre tente de l’apaiser, puis s’agace… avant de provoquer de nouvelles plaintes. Le lien devient piégé dans une boucle d’interdépendance toxique. Et le couple devient alors un théâtre de la victimisation.
"Celui qui se vit comme victime attire inconsciemment le persécuteur ou le sauveur dont il a besoin pour exister dans ce rôle."
C. Petitcollin, 2021
En y regardant de plus près, ce n’est pas la souffrance en soi qui est toxique. C'est l’usage inconscient du statut de victime comme mode d’interaction privilégié, qui permet d’éviter les responsabilités, de susciter l’amour, d'éviter de se remettre en question, de contrôler affectivement l’autre, d'obtenir de l’attention, etc.
Il est important de souligner que ce n’est pas un "choix volontaire", mais un mécanisme de défense émotionnelle.

Le piège psychologique : quand la posture de victime devient une identité
La posture de victime, souvent adoptée inconsciemment, peut sembler "confortable" à court terme :
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Elle permet d’éviter la responsabilité (cf. Christelle Petitcollin, "Victime, bourreau ou sauveur", Éditions Jouvence).
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Elle crée un sentiment de légitimité : "je souffre, donc j’ai raison".
Mais à long terme, elle est hautement destructrice pour la relation.
"La victimisation crée une forme d’impunité émotionnelle. Mais elle sclérose le lien."
— David J. Ley, The Victim Personality, Psychology Today, 2020
Je me souviens de Claire (39 ans) qui vivait depuis 13 ans avec Thomas (43 ans). Ils étaient venus me consulter officiellement pour "perte de désir mutuel". En séance, Claire évoque le fait de se sentir seule, invisible, blessée. Thomas, de son côté, déclare se sentir accablé et rejeté.
Au fil des séances, nous observons plusieurs choses :
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Claire attend inconsciemment réparation d’un passé affectif non reconnu.
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Thomas oscille entre culpabilité et retrait.
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Le désir est devenu champ de tension où il n'y a plus d’espace pour la spontanéité.
La posture de victime empêche Claire d’exprimer un désir clair. Et cette posture interdit à Thomas d’être pleinement sujet dans la relation. En fait, quand la posture de victime s’installe dans un couple, elle modifie les profondément les dynamiques du désir.
Comme le montrent Ley (2020) ou Brenner (2017), jouer la victime dans un couple permet parfois d’éviter la confrontation. Voici quelques bénéfices secondaires inconscients souvent observés en sexothérapie :
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Éviter d’exprimer ses désirs ou besoins véritables
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S’assurer de l’attention de l’autre
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Détenir une forme de pouvoir moral ("je souffre plus que toi, donc laisse-moi")
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Justifier son retrait sexuel ou affectif / éteindre l’intimité car la relation devient un champ de reproches ou d’évitement.
Le piège ? Cette stratégie à court terme bloque toute évolution du couple, fige chacun dans un rôle et peut entraîner alors une perte de désir dans un couple en crise.
Le triangle dramatique de Karpman : un piège qui étouffe le lien
Le psychiatre Stephen Karpman (1968) propose un outil clé pour comprendre ces dynamiques : le triangle dramatique. Il a théorisé ce triangle victime-sauveur-persécuteur, présent dans de nombreux conflits de couple.
Chacun des trois rôles peut être adopté tour à tour, parfois (j'ai envie de dire souvent) lors de la même discussion :

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La victime se sent impuissante, réclame de l’aide ou de la reconnaissance, se sent mal aimée et incomprise. Elle attend qu’on la sauve ou qu’on reconnaisse son malheur.
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Le sauveur tente de réparer, conseiller, aider… mais finit par étouffer, s'épuiser ou culpabiliser.
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Le persécuteur critique, agresse, sature, juge, impose… et nourrit la posture victimaire de l’autre.
Mais là où ça devient intéressant, c'est de regarder la façon dont ces rôles tournent : la victime devient persécutrice si elle se sent trahie, le sauveur se rebelle… et le cycle recommence. En fait, ce triangle est auto-renforçant : plus la victime est plaintive, plus le sauveur veut aider… jusqu’à devenir persécuteur quand il se sent vidé.
"Chacun joue sa partition sans jamais sortir de la scène du drame."
— S. Karpman, Transactional Analysis Bulletin, 1968
En thérapie de couple, ce triangle est vraiment fréquent :
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Un·e partenaire se sent toujours “mal aimé·e” (victime),
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L’autre tente de réparer, puis explose (sauveur → persécuteur),
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Et chacun alimente le cycle d’incompréhension, de contrôle ou de repli.
Ce schéma parasite le désir : on ne désire pas un sauveur ou une victime, mais un partenaire adulte, autonome, sensible. Ainsi donc, dans la thérapie de couple, repérer ce triangle est souvent une révélation majeure. Il permet de désamorcer les attentes cachées (tu devrais deviner ce dont j’ai besoin…), de sortir de la culpabilité et de restaurer une parole claire.
Pour en revenir à mon exemple avec Claire et Tomas : Claire se vit comme victime, Thomas comme persécuteur malgré lui. Mais quand on explore leur histoire, on découvre que Claire a été l’aînée d’une fratrie parentifiée, toujours en devoir… et Thomas, enfant invisible d’un père violent, a appris à fuir les conflits.
L'enjeu principal de mon accompagnement thérapeutique a été de proposer de déconstruire peu à peu le scénario, de retrouver la part adulte en chacun capable de dire “je” et d’oser une parole nue, sans reproche ni posture.
Nota : pourquoi cette posture s’installe-t-elle ?
Le statut de victime dans le couple peut s’expliquer par :
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des blessures d’attachement (Guédeney, 2010),
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des scénarios familiaux non questionnés,
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une faible estime de soi (Cloutier & Lavoie, 2022),
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ou une éducation valorisant la souffrance silencieuse.
D’un point de vue anthropologique, se présenter comme victime donne accès à une reconnaissance morale et symbolique : celle du "bon", du "juste" ou encore du "blessé qui mérite". Surtout lorsque l'on en parle en dehors du cercle amoureux auprès de ceux qui nous soutiennent inconditionnellement (parents, amis notamment).
Dans une société où la souffrance est parfois monétisée (reconnaissance, visibilité, privilèges…), la tentation de s’y maintenir est forte...
Mais ce rôle fige la relation dans une asymétrie. Et dans l’amour, l’asymétrie tue la réciprocité.
Nota : ce triangle ≠ violences conjugales
Cette analyse ne s’applique pas aux relations marquées par des violences psychologiques, physiques ou sexuelles.
Dans ces cas, il ne s’agit pas de triangle dramatique, mais de domination réelle, parfois criminelle.
Ressource utile : www.arretonslesviolences.gouv.fr – 3919

Le biais de confirmation : quand le mental devient le pire avocat de notre souffrance
Et comme si la situation n'étais pas déjà explosive, dans une dynamique de victimisation, un mécanisme cognitif bien connu vient souvent renforcer le piège intérieur : le biais de confirmation.
En psychologie sociale, ce biais désigne la tendance à ne chercher, percevoir et mémoriser que ce qui confirme ce que l’on croit déjà. Ainsi, lorsque l’on se vit comme victime, chaque mot, silence ou regard de l’autre peut être interprété comme une preuve supplémentaire :
- "Tu ne m’écoutes jamais."
- "Tu n’as même pas remarqué que j’allais mal."
- "Tu vois, tu t’énerves, donc c’est que j’ai raison de me sentir agressé·e."
- Etc.
Ce filtre mental transforme la réalité partagée en une narration unilatérale. Le partenaire ne devient alors plus un interlocuteur… mais un décor justifiant l’histoire que je me raconte sur moi-même. C'est un schéma tellement fréquent en thérapie de couple ....
Impact sur le lien de couple :
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Le dialogue devient une guerre de preuves.
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Le passé est réinterprété à la lumière de la blessure.
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Les gestes positifs sont ignorés ou minimisés.
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Le regard sur l’autre se fige : il/elle devient un rôle (bourreau, indifférent·e, négligent·e), non une personne.
Ce biais est d’autant plus fort que la blessure d’attachement est activée (voir mon article sur la blessure d'attachement)
Comme l’expliquent Beauvois & Joule (2002),
"Nous agissons souvent pour confirmer les convictions que nous avons, non pour les remettre en question."

Sortir du triangle : une traversée en 4 étapes
1. Identifier les attentes déguisées
➤ Que suis-je en train de demander sans le dire ?
➤ Est-ce de l’amour… ou une réparation ?
Repérer les schémas répétitifs, les “phrases-refuge” de type :
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“Tu ne me comprends jamais…”
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“C’est toujours moi qui souffre…”
-
“J’ai besoin que tu…”
2. Re-raconter son histoire
➤ Grâce aux pratiques narratives, on externalise la douleur : "j’ai appris à me vivre comme victime, mais ce n’est pas mon identité."
➤ White & Epston (1990) ont montré que le récit de soi influence le rôle que l’on joue dans les relations.
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“Ai-je appris que je devais souffrir pour mériter l’amour ?”
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“Quel rôle je tiens inconsciemment depuis mon enfance ?”
-
Accueillir le paradoxe : “Ai-je tiré un bénéfice à rester victime ?”
Ils ont montré que la narration permet de se détacher d’un rôle assigné afin de redevenir acteur·rice de sa propre vie. Tout l'enjeu va être de reconfigurer l'histoire que l'on se raconte sur soi.
3. Revenir au corps
➤ Le corps figé empêche la disponibilité au lien.
➤ En sexothérapie intégrative, on mobilise le souffle, le mouvement, le toucher symbolique pour libérer la charge émotionnelle avec des outils comme la respiration consciente, l'inner dance, ou encore somatic experiencing pour faire émerger les tensions et blocages liés à cette posture.
➤Des rituels de reconnexion au corps sexué (sans but sexuel immédiat)
4. Créer un nouveau contrat relationnel
➤ Rituels de parole où chacun parle de son ressenti sans accusation, lettres, engagement clair, mise en pratique sous forme de cercle de "vérité", clarification des besoins affectifs et des blessures d'interprétation, etc.
➤ Recréer des rituels où chacun est vu non pour sa blessure, mais pour sa puissance aimante.
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Conclusion
Sortir du rôle de victime, c’est choisir l’amour vivant
Dans un couple, se positionner constamment en victime n’est pas une preuve de sensibilité : c’est souvent une stratégie de survie affective, mise en place pour éviter la confrontation à nos peurs les plus archaïques – d’être rejeté·e, oublié·e, ou abandonné·e.
Mais cette posture, si elle devient centrale, finit par épuiser le lien amoureux, tuer le désir et empêcher l’émergence d’un couple conscient, incarné et co-responsable.
S’en libérer, ce n’est pas "arrêter d’être blessé·e" ou faire taire ses émotions. C’est sortir du triangle dramatique, revisiter ses croyances et apprendre à se dire autrement.
Retrouver un regard neuf sur soi, sur l’autre… et sur la relation
Le biais de confirmation, les blessures d’attachement non digérées, les récits que l’on répète depuis l’enfance : tout cela façonne notre vision du couple. Or, un lien amoureux ne peut évoluer que si l’on accepte de changer le regard que l’on porte sur lui.
C’est en travaillant sur notre manière d’aimer – et non sur l’autre – que nous pouvons transformer le lien.
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Bibliographie
- Beauvois, J.-L., & Joule, R.-V. (2002). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Presses Universitaires de Grenoble.
- Guédeney, N. (2010). L’attachement, un lien vital. Paris : Odile Jacob.
- Salomé, J. (2001). Le courage d’être soi. Paris : Albin Michel.
- Maté, G. (2022). Le mythe de la normalité. Les traumatismes invisibles et le chemin vers la guérison. Québec : Éditions Alto.
- Petitcollin, C. (2015). Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir du piège ? Jouvence.
- Gabay, R., Hameiri, B., Rubel-Lifschitz, T., & Nadler, A. (2020). The tendency for interpersonal victimhood: The personality construct and its consequences. Personality and Individual Differences, 165, 110134.
- Ley, D. J. (2020, 10 décembre). The Victim Personality. Psychology Today.
- Brenner, G. H. (2017, 19 décembre). Letting Go of Victimization. Psychology Today.
- Karpman, S. (1968). Fairy tales and script drama analysis. Transactional Analysis Bulletin, 7(26), 39–43.
- Guide pratique du psychothérapeute humaniste : https://shs.cairn.info/guide-pratique-du-psychotherapeute-humaniste--9782100558018-page-85?lang=fr
- Karpman, S. (2020). Le triangle dramatique, https://shs.cairn.info/le-triangle-dramatique--9782729619640-page-171?lang=fr

NeoSoi - Dr Céline BERCION - psychologue sociale et systémique, thérapie de couple et sexothérapie - initiatrice des grandes traversées de vie
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