Les 7 portes de la honte : descendre dans l’ombre pour renaître au lien sacré
Comprendre les mécanismes psychologiques, relationnels et transgénérationnels de la honte
La honte ne se montre pas toujours en larmes.
Parfois, elle rit un peu trop fort, baisse les yeux, se cache derrière la maîtrise ou la séduction. Elle se glisse dans un frisson quand on se dénude, un silence quand on voudrait pleurer, un sourire figé quand on s’excuse d’avoir désiré.
Et vous ? À quoi ressemble votre honte silencieuse ?
La honte naît dans le regard de l’autre. Elle est une émotion profondément relationnelle et sociale : nous apprenons très tôt ce qui mérite d’être vu… et ce qui doit être caché.
Les normes de notre société française enseignent aux femmes à avoir fréquemment honte de leur corps et de leur désir, les scripts émotionnels genrés tendent à punir les hommes qui montrent leur vulnérabilité et le culte de la performance transforme chaque échec en faute d’être.
Dans le couple, la honte se glisse entre deux corps qui s’aiment : elle inhibe le désir, fige le corps (réflexe de figement) et désorganise le lien d’attachement. On n’ose plus se montrer, ni nu, ni vrai, de peur de voir briller dans les yeux de l’autre ce regard que l’on redoute tant : celui du rejet.
La honte est comme un projecteur intérieur toujours braqué sur soi : elle ne disparaît pas quand le danger cesse, elle continue d’habiter le corps. Boris Cyrulnik la décrit même comme une fracture identitaire, douloureuse, mais aussi transformable si elle est reconnue dans un cadre relationnel sécurisant.
La honte n’est pas donc une essence : elle s’apprend, elle s’incarne… et elle se défait. Elle devient alors une initiation silencieuse, un passage vers une version plus vivante et plus libre de soi. Sous ses couches de peur, la honte cache bel et bien un besoin ardent : celui d'être vu·e sans se masquer, être aimé·e sans se corriger.
Et si ce que vous cachiez pour survivre était précisément ce qui vous empêche d’aimer et d’être aimé·e ?
Dans cet article, je vous propose de franchir les 7 portes de la honte, de la plus visible (la honte du corps) à la plus abyssale (la honte existentielle), pour transformer cette émotion destructrice en une force de lien, de désir et de vie.

I. Comprendre la honte : entre psychisme, lien social et société
Il y a des émotions qu’on ose nommer et d’autres qu’on cache si profondément qu’elles finissent par devenir nous. La honte fait partie de celles-là. Elle ne se contente pas de nous traverser : elle s’installe, tape l'incruste, s’enroule autour du cœur et du souffle ; elle finit d'ailleurs souvent par étouffer le lien, le désir et l’élan vital.
Quand la honte surgit : une émotion sociale, vive et fulgurante
Contrairement à la culpabilité ("j’ai mal agi"), la honte dit : "je suis mauvais·e" ; elle attaque l’être.
Serge Tisseron (La honte, psychanalyse d’un lien social, 1992) rappelle qu’elle naît dans le regard de l’autre (ou dans l’anticipation de ce regard). C’est donc une émotion éminemment sociale et relationnelle, une alarme destinée à préserver notre appartenance au groupe.
La honte déclenche un orage neurobiologique instantané :
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rougeur soudaine,
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souffle coupé,
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gorge serrée,
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évitement du regard,
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figement du corps.
Stephen Porges (théorie polyvagale) a montré que cette réaction active les voies dorsales du nerf vague, provoquant figement et dissociation. Le corps tente alors de se rendre invisible pour survivre.
Petit exercice : prenez un instant.
Souvenez-vous d’un moment où vous vous êtes senti·e jugé·e. Votre souffle s’est-il suspendu ? Votre ventre s’est-il noué ? Vos mains sont-elles devenues froides ?
C’est cela, la honte émotionnelle : un éclair dans le corps.
Quand la honte s’installe : un théâtre social qui colonise l’intime
Quand cette émotion se répète dans un environnement jugeant, moqueur ou abandonnant, elle devient un sentiment durable, qui colonise l’identité.
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Les normes patriarcales tend à enseigner aux femmes à avoir honte de leur corps, de leurs désirs et de leur vieillissement (Héril, 2010).
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Les scripts émotionnels genrés tend à punir les hommes qui pleurent, s’effondrent ou expriment leur tendresse (Audibert, 2018).
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Le culte capitaliste de la performance tend à transformer chaque fragilité (burnout, chômage, panne sexuelle) en faute de l’être (Bacqué, 2021).
Cette honte devient alors un théâtre intérieur permanent :
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un théâtre intérieur qui juge (la voix intériorisée des normes),
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un théâtre intérieur qui se montre (le masque impeccable),
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un théâtre intérieur qui se cache (le soi honteux, recroquevillé).
Je vous propose un petit exercice : et vous ? Que cachez-vous pour rester aimable ? Quelles parties de vous ont appris à se taire pour survivre au regard ?

Honte : émotion vive ou sentiment durable ?
"Quand il me regarde, j’ai chaud partout, je voudrais disparaître" VS "Moi, je me sens sale depuis toujours, même quand personne ne me juge".
Ces deux phrases disent "j’ai honte", mais elles ne parlent pas du même phénomène. La première décrit une émotion vive, la seconde un sentiment de honte chronique.
Honte émotionnelle |
Honte sentimentale |
Brève, déclenchée par un contexte |
Persistante, sans contexte actuel |
Se vit dans le corps (chaleur, figement) |
Se vit dans la pensée (auto-dévalorisation) |
Régulation corporelle, accueil, sécurisation |
Reconstruction identitaire et relationnelle |
Peut disparaître si le lien est réparé |
Nécessite une reconstruction du lien à soi et aux autres |
Les trois visages de la honte : de l’alarme émotionnelle à la fracture héritée
Tisseron et la honte émotionnelle : une alarme sociale immédiate
Serge Tisseron (La honte, psychanalyse d’un lien social, 1992) montre que la honte surgit d’abord comme une émotion réflexe, vive et brève, conçue pour protéger notre appartenance au groupe.
Ici, la honte fonctionne comme un signal social ponctuel : elle indique une menace sur le lien, sans altérer l’identité :
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Apparaît brièvement lors d’un "écart à la norme" perçu.
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Liée à l’Idéal du moi et au besoin d’approbation.
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Se régule dès que le lien est sécurisé.
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Typique des fonctionnements névrotiques organisés.
Elle agit comme une alarme sociale archaïque : "attention, ce que tu montres pourrait te faire rejeter". C’est véritablement une décharge neurobiologique dans le corps :
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rougeur du visage,
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souffle coupé,
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gorge serrée,
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regard qui fuit,
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corps figé.
Stephen Porges (Cf. théorie polyvagale) explique que cette réaction active les voies dorsales du nerf vague, déclenchant un figement dissociatif : le corps tente de s’effacer pour survivre.
Bonne nouvelle : cette honte émotionnelle est douloureuse mais réversible : elle s’éteint dès qu’un regard empathique restaure le lien.
Cyrulnik et la honte chronique : une fracture identitaire silencieuse
Mais quand cette alarme se répète sans réparation affective, elle se transforme. Ce n’est plus : "j’ai honte de ce que j’ai fait", mais "j’ai honte de ce que je suis".
Boris Cyrulnik (Les âmes blessées, 2014) décrit cette forme de honte comme une fracture identitaire profonde. Elle colonise l’identité. La honte n’est alors plus un signal : elle devient le prisme à travers lequel toute la réalité est perçue. Un miroir déformant en quelque sorte qui contamine tout le vécu de soi :
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Résultat de traumatismes précoces, d’attachements insécures, de carences affectives.
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Très fréquente dans les structures état-limite / borderline.
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Entraîne : dissociation émotionnelle, inhibition, auto-sabotage, troubles sexuels, conduites addictives.
Au-delà, la honte peut aussi être vécue de façon massivement refoulée, voire vécue comme une menace d’effondrement narcissique et de désintégration du moi (en couple, la personne qui en est atteinte va alors tout faire pour résister à cette peur d'être "englouti" par l'autre). Le faux-self (le fameux "masque" qui étouffe tellement il est collé qu'on le voit pas) va alors être surinvesti pour éviter le contact avec la partie honteuse de soi. En couple, la personne aura alors tendance accuser l'autre (projeter sur l'autre ) comme étant la source de tous ses maux (je ne me reconnais plus depuis que je suis avec toi, tu m'as changé, etc.)
De façon plus globale, la honte a plusieurs conséquences directes :
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elle altère les représentations de soi (imposture, auto-dévalorisation),
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elle désorganise l’attachement (anticipation du rejet qui fait des ravages sur la qualité du lien amoureux),
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elle inhibe le désir et la sensualité (se montrer comme on est devient véritablement menaçant).
Et bien sûr, cette honte-là résiste à l’amour. Même aimé·e, la personne ne peut pas y croire : le compliment glisse, le câlin devient suspect. C'est comme si la honte avait colonisé le lien.
Pour nous résumer :
Quand la honte est émotionnelle, elle protège le lien.
Quand la honte devient identitaire, elle fracture le lien.
Quand la honte est clivée, elle détruit le lien tout en le recherchant désespérément.

Hanot et la honte héritée : une mémoire silencieuse et transgénérationnelle
Et parfois, cette fracture ne vient même pas de nous. Elle est déjà là, transmise silencieusement entre générations.
Nathalie Hanot (Les blessures d’attachement, 2020) montre que la honte peut être héritée sans mots, par imprégnation émotionnelle. L’enfant n’est pas humilié·e directement, mais grandit auprès d’adultes pétris de leur propre honte, qui la lui transmettent à travers leurs gestes crispés, leurs silences et leurs postures, comme un message invisible à la puissance colossale : "il y a quelque chose en nous qu’il faut cacher".
Je revois Lise, en séance, évoquant son enfance succintement : "chez nous, on ne se plaint pas, on se tient droit". Et dans le même temps, son dos se voûtait lorsqu'elle prononçait ces mots. Elle avait hérité de cette injonction à la retenue, inscrite dans la chair avant d’être dans les mots.
Plus largement, cette honte transgénérationnelle se diffuse avec une force invisible mais bien présente. Cette honte transgénérationnelle :
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modèle la posture corporelle (épaules rentrées, regard baissé),
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contamine l’image de soi,
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et alimente des scénarios d’auto-exclusion ("je suis toujours à côté").
Petit exercice : et vous… quelles postures, quels silences, ne sont pas vraiment les vôtres, mais ceux de vos lignées que votre corps porte encore ?

La honte : une émotion façonnée par la culture
Les recherches sur le sujet nous montrent que la honte n’a pas le même visage partout.
En Asie, elle est sociale : on doit éviter de "faire perdre la face" à son groupe.
En Occident, elle est intériorisée : on se vit comme étant "défectueux" et seul dans le silence.
Dans certaines cultures africaines ou autochtones, elle est même réparatrice : le groupe soutient celui qui a chuté, pour restaurer le lien plutôt que l’exclure.
Cette perspective interculturelle rappelle surtout que la honte n’est pas une fatalité biologique, mais une construction relationnelle et sociale. Et puis ... tout ce qui est construit peut être déconstruit

Une trace vivante dans le corps
En sexothérapie, je vois souvent des corps présents mais absents : le geste est là, mais le regard est vide, le souffle coupé, le plaisir mécanique. En fait, la honte dérègle le circuit du désir : elle transforme l’intimité en scène de jugement, et le corps en ennemi à faire taire. Elle laisse même des empreintes neurobiologiques durables : hypertonie musculaire, respiration haute et courte, insensibilité aux caresses, dissociation sensorielle. Comme si le corps avait appris qu’exister pleinement est dangereux.
Petit exercice : observez votre corps maintenant. Où votre honte s’abrite-t-elle ? Dans vos épaules tendues ? Votre ventre serré ? Vos yeux qui fuient ?
Une mémoire héritée et transgénérationnelle
Serge Tisseron parle de "honte silencieuse" : ces humiliations, secrets, tabous qui se transmettent sans mots, mais s’inscrivent dans les postures, les silences, les tensions.
Hanot montre que cette honte héritée façonne l’estime de soi et les modèles relationnels sans que la personne comprenne son origine.
Ces personnes portent la honte de leurs lignées comme une dette invisible pour rester (bien malgré eux) loyaux à ceux qui n’ont jamais pu relever les yeux.
Pour nous résumer
Derrière la honte, il n’y a donc pas un défaut de soi à corriger, mais une quête de lien qui n’a pas pu s’accomplir.
C’est ce que révèle le travail thérapeutique : sous chaque honte, il y a une demande d’amour, d’inclusion, de sécurité ou de légitimité à satisfaire :
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Le besoin de reconnaissance, quand on a grandi sans regard bienveillant.
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Le besoin d’appartenance, quand on a appris qu’être différent mettait en danger.
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Le besoin de légitimité, quand on s’est senti "de trop" dans le monde.
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Le besoin de sécurité relationnelle, quand la vulnérabilité a été trahie.
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Le besoin de dignité, quand on a été réduit à une faute, une blessure, ou un rôle.
Ces besoins ne sont pas faibles ; ils sont le cœur vivant du lien humain. La honte n'est alors plus une émotion à fuir mais une part de soi à écouter. La honte n’est pas l’ennemie de nos besoins : elle en est la gardienne désespérée. Et lorsqu’on reconnaît ce qu’elle tente de protéger, la honte cesse d’écraser : elle devient une boussole.
La honte fonctionnelle, celle qui nous permet de respecter l’autre, garde sa place.
Mais la honte toxique, celle qui nous enferme, se dissout lorsqu’on la relie à ce qu’elle voulait préserver :
notre dignité, notre appartenance, notre droit d’exister. Oui, la honte est une fracture identitaire. Mais elle peut aussi devenir une porte de résilience, si elle est accueillie dans un cadre sécurisant et aimant. Car la honte n’est pas une essence figée : elle s’apprend, elle s’incarne… et elle se défait.
Traverser la honte, c’est accepter de mourir à l’identité de la honte pour renaître à la dignité d’exister. Et c’est souvent dans ce silence où tout semble perdu que quelque chose d’autre commence à respirer en nous.

II. La descente : franchir les 7 portes
Tu as appris à marcher droit, sourire, performer. Mais quelque chose en toi n’a jamais cessé de gémir en silence. Bienvenue ! Ici commence la descente. Pas pour te corriger mais pour te retrouver.
À chaque porte, tu vas laisser un masque. À chaque porte, un pan de vivant endormi reprendra souffle.
Let's go.
Porte 1 : Le corps exposé : quand la honte se grave dans la chair
"Je n’arrive plus à me déshabiller devant lui. Même dans le noir, j’ai l’impression qu’il voit tout ce qui cloche depuis la naissance de ma fille".
Elle parlait de son ventre, de ses cicatrices… mais surtout du gouffre entre le regard qu’elle porte sur son corps et celui qu’elle imagine dans les yeux de l’autre.
La honte du corps ne crie pas : elle se contracte en silence. Elle se loge dans des épaules qui se voûtent, dans la nuque qui se replie, dans des joues qui chauffent quand le regard de l’autre s’attarde un peu trop. Et surtout .... Elle fige le souffle, coupe le désir et fait disparaître l’élan de se montrer nu·e et vivant·e.
Dans l’intimité, la honte se traduit par mille stratégies d’évitement : éteindre la lumière, ne pas bouger, éviter certaines positions, se dissocier du plaisir pour survivre à l’exposition.
Le corps, premier lieu de honte sociale et relationnelle
Cette honte corporelle n’est pas innée : elle est apprise. Dès l’enfance, nous grandissons sous un faisceau de regards normatifs :
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Les femmes sont plutôt dressées à disséquer chaque parcelle d’elles-mêmes, à voir leur corps comme un projet à corriger en permanence (Héril, Femmes désirées, femmes désirantes, 2010).
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Les hommes sont plutôt sommés d’incarner la puissance : pas de ventre, pas de mollesse, pas d’échec érectile, sous peine de trahir leur virilité supposée (Audibert, 2018).
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Les personnes en surpoids ou en situation de handicap entendent souvent et très tôt que leur corps est "trop" ou "pas comme il faut", ce qui a tendance à les exiler du sentiment d’appartenance.
Dans le couple, ces regards intériorisés s’invitent jusque sous les draps. La honte n’obéit pas à une logique rationnelle. Parce qu'elle s’ancre dans la mémoire du corps et dans la raison, la honte est une invitée qui s'incruste de façon tenace dans nos vies.
Les effets cliniques : un corps figé, un lien disloqué, un désir éteint
La honte du corps est un mécanisme de protection enraciné dans le système nerveux.
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Elle active les circuits du figement (réflexe dorsal, théorie polyvagale, Porges) : le corps se ferme, se raidit, se dissocie des sensations pour éviter le rejet.
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Elle désorganise le lien d’attachement (Audibert ; Hanot) : peur que le partenaire s’éloigne s’il "voit vraiment".
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Elle inhibe le désir et le plaisir : quand on se sent observé·e ou jugé·e, l’érotisme devient menaçant.
En sexothérapie, je vois souvent ce cercle : plus on se juge, plus on s’anesthésie ; plus on s’anesthésie, plus on se croit "défectueux·se" et plus cette honte grandit, plus on évite le contact.
Le corps finit alors par se dissocier de l’expérience sexuelle elle-même : le plaisir devient mécanique, l’orgasme une performance, et la tendresse un risque.
Le corps comme temple vivant : réhabiliter la chair
Et pourtant, le corps n’est pas l’ennemi : il est le premier allié du désir et de la guérison. Ce n’est pas notre chair qui est honteuse, mais les regards qui s’y sont imprimés.
Dans l’espace thérapeutique, je propose souvent de réhabiter le corps par le souffle, le mouvement, le toucher conscient, le miroir relationnel, pour le redécouvrir non plus comme un objet à corriger, mais comme un territoire vivant et sensible.
Dans les états élargis de conscience (respiration holotropique, notamment), je vois des corps se défiger, frissonner, pleurer, puis rayonner à nouveau : la honte se dissout et la chair redevient temple.
Traverser cette première porte, c’est oser être vu·e dans sa vérité charnelle (imparfait·e, vibrant·e, incarné·e, etc.) et découvrir que le regard aimant de l’autre commence toujours par celui qu’on ose enfin poser sur soi.

Porte 2 : Les émotions bâillonnées
Elle sourit en parlant de son enfance. Un sourire impeccable, sans une ride de douleur. Sa voix, lisse et monocorde, déroule les souvenirs comme on récite une fiche.
Pas une variation. Pas une brèche. Une présentation de soi parfaite.
Quand ressentir est devenu dangereux
Beaucoup des personnes que je reçois dans mon cabinet ont grandi dans des environnements où ressentir était perçu comme une menace :
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pleurer déclenchait la moquerie,
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trembler provoquait la punition,
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se réjouir attisait la jalousie,
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se mettre en colère entraînait l’abandon.
Dans ces climats relationnels, l’enfant comprend très tôt qu’il faut se couper de ses émotions pour rester en lien.
Quelques éléments de repères de psychologie clinique pour les plus curieux
Nicole Guédeney (2001) montre comment les attachements insécures précoces favorisent l’alexithymie, cette difficulté à identifier et exprimer ses émotions.
Donald Winnicott (1960) parle alors de faux-self : un moi social adapté, performant, lisse… mais qui cache un moi vrai muselé.
Nathalie Hanot (Les blessures d’attachement, 2020) rappelle que cette anesthésie n’est pas une absence de ressenti : c’est un gel protecteur, installé parce qu’aucun adulte n’a su accueillir les débordements émotionnels.
Un système qui valorise l’impassibilité
Mais ce bâillonnement n’est pas seulement individuel. Il est souvent organisé et renforcé par tout un système relationnel qui se joue à plusieurs niveaux :
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Dans certaines familles, les émotions sont taboues, ridiculisées ou ignorées.
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Les scripts genrés renforcent ce clivage : les filles sont régulièrement inviter à ne pas se mettre en colère, les garçons sont régulièrement invités à ne pas pleurer (Guédeney, 2001).
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L’école et le monde du travail valorisent largement l’impassibilité émotionnelle comme signe de compétence.
Alors, on apprend à s’anesthésier pour mériter le lien. Mais ce lien devient creux. On est là mais on n’y est plus.
Dans le couple et la sexualité
Ce bâillonnement émotionnel éteint doucement la présence. On aime "comme il faut", mais sans être là vraiment. L’autre sent la distance. Il / elle croit qu’on ne l’aime plus, alors qu’on est juste absent à soi-même.
En sexothérapie, je retrouve souvent cette anesthésie affective avec :
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absence de plaisir,
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orgasme mécanique,
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tendresse rare,
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évitement des conversations profondes.
Le cercle vicieux est redoutable : plus on se coupe, plus l’autre s’éloigne → plus l’autre s’éloigne, plus on se coupe. Et chaque éloignement réactive la honte d’origine.
La clé pour sortir de tout cela ? Boris Cyrulnik (Les âmes blessées, 2014) rappelle que ressentir à nouveau dans son corps est le premier pas de toute résilience... En thérapie, le blabla c'est bien, la reconnection au corps c'est mieux. CQFD

Porte 3 : Le désir interdit
Le feu vital qu’on a appris à bâillonner pour rester aimé·e.
Quand le feu vital devient suspect
Le désir est bien plus qu’une pulsion sexuelle : c’est l’élan même de la vie, cette énergie primitive qui pousse à explorer, créer, se relier, se réjouir.
Quand il circule librement, il nourrit l’élan sexuel ; quand il est muselé, tout s’éteint, dans le lit comme dans la voix. Mais beaucoup ont appris qu’avoir envie, c’était trahir, risquer, déranger.
- Alain Héril (Femmes désirées, femmes désirantes, 2010) montre que le désir féminin a été historiquement nié comme force autonome et réduit à une réponse au désir masculin, ce qui crée un faux-self sexuel conforme mais éteint. Dans Les hommes et l’amour (2019), il décrit surtout comment beaucoup d’hommes associent le désir à une épreuve de virilité, ce qui déclenche honte et effondrement en cas de baisse de désir.
- Pascal Hachet (Sexualité et attachement, 2015) souligne que chez les personnes à attachement insécure, le psychisme met en place un clivage entre tendresse et sexualité pour éviter la blessure : aimer rend le désir dangereux, désirer fait peur de perdre l’amour.
- Claude Crépault (Université Laval, 2018) rappelle que le désir est une dynamique affective relationnelle : il émerge dans un climat de sécurité émotionnelle, pas dans la pression ou le jugement.
Le conflit intérieur : aimer ou désirer, il faudrait choisir
Quand le feu du désir se lève, notre juge intérieur frappe régulièrement et plus ou moins durement :
"Ce que je désire est sale"
"Si je dis ça, il / elle va me quitter"
Alors tout se rétracte : un frisson monte, le cœur s’accélère, le bas-ventre s’embrase… et aussitôt le souffle se coupe, le périnée devient crispé, les mains se glacent, on peut même rougir de honte. On a tous plus ou moins connu au moins une fois cette formation réactionnelle : le plaisir est perçu comme une menace, donc le psychisme l’éteint pour survivre.
Les formes silencieuses du désir muselé
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désir qui surgit et s’effondre aussitôt,
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orgasme mécanique sans chaleur,
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impossibilité à tolérer ses fantasmes,
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évitement du regard, de la lumière, de la lenteur,
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excitation fulgurante suivie d’un vide.
Et vous ? Quand avez-vous cessé d’oser dire "j’ai envie" ?
Quelles images surgissent quand vous vous imaginez désirant·e ?
Qu’avez-vous étouffé pour rester "présentable" ?
Le piège relationnel : cacher pour être aimé
Dans le couple, ce bâillon devient en fait un véritable poison silencieux. On veut être désiré·e, mais on se cache. On attend que l’autre devine, tout en craignant qu’il voie. On confond désir et performance : l’élan devient une obligation.
Le cercle vicieux est redoutable :
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peur de perdre le lien → refoulement du désir,
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distance de l’autre → honte et auto-culpabilité,
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ce qui gèle encore davantage le désir.
Je m'entends dire souvent aux personnes dans mon cabinet : "vous n’avez pas perdu votre désir. Vous l'avez juste enfermé pour ne pas qu’on le piétine". Traverser cette porte, ce n’est pas "relancer la libido". Non, c'est bien plus puissant que cela ; c’est réapprendre à laisser monter la chaleur sans fuir.
Alors on commence doucement, hors du champ sexuel :
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15 minutes d’exploration sensorielle lente en solo ou à deux, tranquillement chez soi (sons, textures, souffle sur la peau, etc.),
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autoriser les fantasmes sans obligation d’agir,
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nommer et oser dire son désir en phrases brèves à son partenaire : "J’aimerais… ", "Ça m’attire… ", "J’en ai peur… ".
Le corps apprend à ne plus fuir le frisson. C'est alors seulement que l’éros peut revenir non pas comme un devoir, mais comme une permission d’exister avec intensité.
Traverser cette porte, c’est réconcilier le feu et le lien. Le désir n’est pas un caprice : c’est ton axe vivant.

Porte 4 : Les secrets hérités
Certaines personnes arrivent en thérapie avec une honte sourde, sans souvenir clair pour l’expliquer.
Ils se sentent "de trop", "pas faits pour être heureux" sans comprendre véritablement ni pourquoi ni d'où ça vient.
Et parfois, en déroulant leur histoire, on tombe sur un vide. Une pièce manquante dans le puzzle familial. Un nom jamais prononcé. Une douleur qui plane mais que personne ne nomme.
Ce que disent les recherches
Serge Tisseron l’a montré dès les années 1990 : quand un événement traumatique est caché, il se transmet malgré tout, par le langage du corps, les silences, les gestes figés. Je le vois souvent en séance : certains patients portent en eux ce qu’on ne leur a pourtant jamais dit explicitement. A ce sujet, les états modifiés de conscience et un travail de fond sur le génogramme sont de précieux outils pour expliciter et se libérer de ces charges invisibles.
Nathalie Hanot parle à ce sujet de loyautés invisibles : ces pactes muets par lesquels l’enfant s’interdit d’aller là où ses parents n’ont pas pu aller (vers la joie et la paix). Catherine Audibert, dans ses travaux sur les attachements précoces (Les blessures d’attachement, 2018), décrit notamment comment ces secrets créent des "trous psychiques", des zones vides où se glissent l’angoisse, la honte et le doute de soi. On ne sait plus d’où vient le mal-être, alors on se croit soi-même défectueux.
Comment cela parasite la vie relationnelle
Ces loyautés inconscientes sabotent souvent la construction du couple et du désir. Dès que le bonheur s’approche, certaines personnes ressentent un vertige :
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peur de trahir leur famille en étant heureux·se,
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sentiment d’indignité,
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auto-sabotage dès que la relation devient stable ou douce,
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Etc.
Le partenaire sent cette tension, ce retrait inexpliqué, comme si quelqu’un d’autre (un tiers flottant en quelque sorte) était toujours dans la pièce.
Pour ouvrir le cycle
Mettre en lumière ces transmissions ne signifie pas rompre avec sa famille. Cela signifie cesser de porter ce qui ne nous appartient pas.
En thérapie, cela passe souvent par :
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un génogramme pour repérer les non-dits et les pertes,
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un travail de narration pour rendre leur histoire à ceux qui l’ont vécue,
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et un travail d'engagement intérieur.
Quand ce n’est plus un secret, ce n’est plus un poids : cela devient juste une histoire et elle peut alors enfin rester à sa place, dans le passé.

Porte 5 : L’échec social : quand la honte nie le droit d’exister
Il y a une douleur singulière dans l’échec : celle d’avoir cru qu’on tenait enfin sa place et de voir tout s’effondrer.
Et l’échec prend bien des visages.
Parfois c’est une reconversion qui avorte ou qui peine à voir le jour.
Parfois une carrière qui stagne, un poste perdu, un concours raté, une entreprise qui coule.
Parfois c’est plus diffus : la précarité qui s’installe, le déclassement silencieux, la sensation de ne pas "tenir la route" dans ce monde qui exige d’aller toujours plus vite.
En séance, un homme m’a dit un récemment : "quand j’ai été licencié, j’ai eu l’impression d’être un imposteur pris en flagrant délit d’exister". J'ai trouvé ses mots d'une puissance incroyable. Il parlait en souriant, mais ses mains tremblaient. Son regard était fixe, comme vidé.
Ce qu'il vivait, ce n’était pas seulement un échec professionnel. C’était une chute identitaire. Un glissement brutal du "je suis compétent" au "je ne vaux rien". C'est comme s'il était passé d'un "j'ai raté", à "je suis un raté".
L’échec comme menace existentielle
Dans une société de la performance, échouer n’est pas seulement "ne pas réussir" : c’est "ne plus exister aux yeux des autres". Et cette impression d’être effacé (socialement et symboliquement) est souvent plus douloureuse que la perte concrète. Dans mes accompagnement, je les vois lutter pour rester dignes alors qu’ils sont déjà épuisés. Sous leurs silences, je sens la peur de ne plus compter pour personne.
Quand le couple devient un miroir angoissant
Et dans le couple, cette honte devient un poison lent. La personne se referme, se cache, ou tente de reprendre le contrôle sur tout pour éviter de perdre le "dernier rempart".
Le partenaire, lui, ressent souvent :
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une tension constante,
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un sentiment de rejet,
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ou l’impression de marcher sur des œufs.
Très vite, le regard de l’autre devient un rappel vivant de l’échec : chaque silence est perçu comme du jugement, chaque question comme un reproche. Et plus l’autre se rapproche, plus la personne honteuse se replie. Ce cycle défensif érode doucement le lien et souvent, malheureusement, le désir qui va avec.
Le corps sous pression
Le corps raconte souvent cette honte mieux que les mots. Les patients parlent de "stress", mais leur corps dit autre chose :
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gorge serrée comme si la voix devait se taire,
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ventre noué en boule compacte,
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respiration courte, hachée,
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cœur lourd, dos tendu comme une armure.
Pour reconstruire une valeur inconditionnelle
Sortir de la honte de l’échec, ce n’est pas "se remotiver" : c’est surtout et avant tout désapprendre que sa valeur dépend de ses résultats.
En thérapie, ce travail passe souvent par :
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réhabiliter les échecs comme des expériences formatrices,
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renforcer l’estime de soi indépendante de la performance,
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réouvrir le dialogue avec le partenaire sur ce qu’on ressent réellement, sans masque ni contrôle.
Et surtout, réapprendre qu’on n’a rien à prouver pour mériter d’exister.

Porte 6 : La différence stigmatisée
"J’ai l’impression de déranger le monde entier rien qu’en respirant".
Il est haut potentiel, il pense vite, trop vite. Alors il ralentit ses idées, avale ses phrases, rit aux blagues qu’il ne comprend pas, pour ne pas lasser.
Une autre se sent étrangère dans ce monde avec son corps hors normes ; elle baisse les yeux quand on la regarde. Elle esquive les miroirs et les caresses. Elle me murmure qu’elle aimerait" une seule fois se sentir jolie sans avoir à s’excuser".
Ces 2 personnes portent la même trace silencieuse : la conviction intime qu’être soi risque de coûter l’amour.
Quand la norme sociale fabrique la honte
La honte naît presque toujours d’un écart entre ce que nous sommes et ce que nous croyons devoir être.
Et plus la norme est rigide, plus l’écart devient douloureux.
Boris Cyrulnik (La honte, 2010) rappelle que la honte est une émotion sociale archaïque : elle surgit quand on sent que notre différence pourrait nous exclure du groupe.
Catherine Audibert (Les blessures d’attachement, 2018) explique que beaucoup d’enfants peu sécurisés intériorisent très tôt que "être aimé = être conforme", ce qui les pousse à masquer tout ce qui pourrait paraître "anormal".
Et, enfin, Nicole Guédeney a montré que les personnes à attachement insécure pratiquent souvent l’auto-exclusion préventive : elles s’effacent avant même d’être jugées, persuadées qu’elles ne peuvent pas être choisies si elles sont visibles.
La spirale de l’invisibilisation
Ces personnes deviennent alors experts dans l’art de ne pas déranger. Elles parlent peu d’elles. Ces personnes contrôlent leurs gestes, leurs propos, leurs élans. Elles rient quand on rit, s’effacent quand on s’agace. Ces personnes ont appris à se fondre dans le décor, à s’effacer pour survivre.
"Ne sois pas trop toi-même".
"S’ils voient qui tu es vraiment, ils partiront".
"Reste lisse. Reste neutre. Reste petit".La liste est très loin d'être exhaustive. Pour autant, ces phrases intérieures les accompagnent comme des mantras inversés.
Quand le partenaire devient le miroir de la norme
Ce que je vois souvent, c’est cette boucle relationnelle cruelle :
-
chaque regard du partenaire est interprété comme un jugement,
-
chaque silence comme une disqualification,
-
la personne "différente" se replie, se neutralise,
-
et le partenaire, désemparé, se sent tenu à distance.
Plus l’autre s’approche, plus ils se cachent ; comme si être vus risquait de provoquer leur exclusion.
Je leur dis parfois doucement : "ce n’est pas votre partenaire qui vous juge. C’est la norme intériorisée que son regard réveille chez vous".
Rouvrir la place pour exister autrement
Sortir de la honte de la différence n’est pas "s’assumer" d’un coup : c’est apprendre à tolérer d’être vu, un peu plus chaque jour.
Etant neuroatypique moi-même, j'invite les personnes concernées par la honte d'être stigmatisées à faire des micro-expériences :
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soutenir un regard une seconde de plus,
-
dire un ressenti sans se justifier,
-
oser une tenue qui leur ressemble,
-
parler de leurs désirs avant de les censurer.
Et peu à peu, je vois leurs corps se redresser. Leur souffle descend, leurs yeux cessent de guetter le danger.
Ils ne demandent moins : "est-ce que j’ai le droit d’être moi ".
Ne plus à s’excuser d’être vivants, voilà le chemin d'une vie.

Porte 7 : L’existence niée
À ce stade, la honte n’est plus un affect ponctuel. Elle est devenue un état de soi. Elle ne dit plus "j’ai fait quelque chose de mal", elle dit "je suis une erreur" puis "je ne suis plus"
Ce n’est jamais brutal. Cela commence par un incident, une humiliation, une défaite. Puis vient le repli. Le silence. L’isolement. Puis arrive la conviction que leur présence est un poids pour les autres. Et enfin, l’effacement : les personnes concernées cessent de parler, de désirer, d’espérer. Elles deviennent comme absentes à leur propre vie.
"Si je n’étais pas là, ce serait plus simple pour tout le monde".
À ce stade, ils ne se disent plus "je suis triste ", ils se disent "je ne suis rien". Ils ne se sentent plus en marge : ils se sentent en trop.
Quand la honte devient un effacement identitaire
Jean-François Noël (La peur d’aimer, 2020) décrit cette honte chronique comme un "poison silencieux" qui conduit à se retirer de toute relation pour ne plus courir le risque d’être disqualifié. Ce n’est plus la peur de mal faire : c’est la certitude d’être de trop.
Philippe Jeammet (Cairn, 2017-2022) explique que cette honte touche le narcissisme primaire : elle fait s’effondrer le sentiment même d’exister et pousse au retrait comme ultime défense contre l’anéantissement psychique.
Enfin, Marie-Rose Moro (2018-2023) a montré que cette désaffiliation psychique touche tout particulièrement ceux qui n’ont jamais assez véritablement reçu de reconnaissance sociale (comme les adolescents en errance, les personnes racisées, précarisées, en exil ou en situation de handicap) et que cet effacement est moins un symptôme individuel qu’un produit de notre système social normatif.
Cet effacement est souvent une stratégie de survie ultime : disparaître pour ne plus risquer d’être détruit. Et bien souvent, ils portent dans leur chair les générations d’invisibles qui ont survécu en disparaissant.
Quand il ne reste plus que le vide
Ces personnes ne se plaignent pas. Elles ne demandent plus. Elles vivent à côté d’elles-mêmes, dans une vie fonctionnelle et vide. Elles disent souvent :
"Je n’attends plus rien de personne"
"Si je disparaissais, je crois que ça ne changerait rien"
Dans leurs couples, cela crée une douleur sourde : le partenaire sent une distance qu’il ne comprend pas,
comme s’il parlait dans le vide. Comme si la personne n’habitait plus vraiment son corps. Certains conjoints disent : "J’ai l’impression de vivre avec un fantôme." Et souvent, ces partenaires se sentent coupables de ne pas réussir à aimer assez fort pour les "ramener".
Réancrer le droit d’exister
Sortir de cette honte abyssale, ce n’est pas "retrouver confiance" : c’est réapprendre qu’on a le droit d’être là, même sans le mériter.
C'est les inviter à :
-
reconstruire un attachement sécure, lentement, patiemment,
-
réhabiter leur corps (respiration, mouvement, ancrage),
-
retrouver le fil du désir, même minuscule, même fragile,
-
faire l’expérience répétée d’être accueillis sans condition.

III. La remontée : transformer la honte
Traverser la honte ne suffit pas. Pour qu’elle cesse de structurer l’identité, elle doit être transformée dans le lien. Et cette transformation ne se fait jamais d’un coup : elle se construit par étapes, souvent fragiles et réversibles, qui permettent peu à peu de réintégrer sa valeur, sa place et son désir.
Nommer pour différencier
La remontée commence presque toujours par ce moment fondateur : oser nommer la honte sans se confondre avec elle.
Nathalie Hanot (Les blessures d’attachement, 2020) rappelle que tant qu’elle reste sans nom, la honte se confond avec l’identité.
Nommer la honte, c’est la déplacer du registre de l’être vers celui de l’expérience
Il est essentiel de remettre la honte à sa juste place : une émotion. Reconnue comme telle, elle peut être modulable.
Dans le cadre de la thérapie, à ce stade, j'aide les personnes à repérer les déclencheurs relationnels, les manifestations corporelles et les croyances automatiques associées, afin qu’ils puissent relocaliser la honte dans un contexte et non dans leur identité. C'est fondamental.
Réhabiliter la vulnérabilité dans le lien
Une fois la honte nommée, le défi est de rester en lien sans se camoufler. C’est souvent la phase la plus délicate : celle où la peur d’être disqualifié resurgit à chaque tentative d’ouverture.
Gwenaëlle Persiaux (Guérir des blessures d’attachement, 2021) montre que les blessures de honte précoce se réparent dans des liens stables et fiables, où l’on peut être vu sans être corrigé. En tant que thérapeute de couple, je crois profondément aux vertus magnifiques du couple conscient. Dans les couples, ce passage se manifeste souvent par un dialogue plus sincère, où l’un ose dire "je me cache quand j’ai peur de ne plus valoir rien", et l’autre peut enfin répondre sans chercher à corriger ni sauver.
Philippe Jeammet rappelle que l’estime de soi se reconstruit dans le regard de l’autre, à condition que ce regard ne se retire pas face à la désorganisation émotionnelle.
Réhabiliter le corps comme territoire légitime
La honte expulse du corps et fait de lui un lieu suspect. Pour se transformer, elle doit laisser place à une réappropriation corporelle et sensorielle.
Catherine Audibert (Les blessures d’attachement, 2018) rappelle que le corps est le premier lieu de sécurité psychique. Dans ce contexte, j'accompagne alors les personnes à :
-
identifier les zones de tension chroniques,
-
restaurer la sécurité corporelle par le mouvement et la respiration,
-
revisiter leur rapport au plaisir et au désir sans enjeu de performance.
Quand les personnes réhabitent leur corps, elles cessent de le traiter comme un objet à corriger et peuvent à nouveau se percevoir comme un sujet relationnel. C'est essentiel.
Dans les couples, cette étape ouvre souvent la voie à un désir plus spontané, non défensif, qui ne cherche plus à prouver sa valeur mais à créer du lien.

IV. Exercice introspectif : traverser sa propre honte pour retrouver sa place
Je vous offre la possibilité de voir ce que l'on peut travailler concrètement dans un espace thérapeutique, en individuel ou en couple. Bien entendu, ceci est un déroulé très général et très simplifié.
Objectif global de ce process de travail sur la honte :
Transformer une honte chronique et toxique (souvent intériorisée dans l’enfance) en émotion régulée et contextualisée, pour permettre à la personne de retrouver sa valeur, sa place et sa capacité de lien.
Important :
Cet exercice concerne la honte persistante qui attaque l’identité - et non la honte fonctionnelle (régulatrice et ponctuelle). Il s’agit non de la supprimer, mais de la convertir en signal relationnel utile.
⏳ Durée indicative :
-
Individuel : 2 séances.
-
Couple : 1h30 à 2h, avec des temps séparés puis croisés.
Courbe émotionnelle :
activation maîtrisée → stabilisation → réémergence → symbolisation → réintégration systémique.
Étape 1 — Nommer la honte et la situer
But : sortir de la fusion entre honte et identité.
Consignes générales de départ :
-
"Pouvez-vous raconter une situation récente où la honte est apparue ?"
-
"Que vous êtes-vous dit sur vous-même à cet instant ?"
-
"Quel regard redoutiez-vous ?"
Il dit : "J’ai eu honte d’avoir pleuré"
Je réponds : "Pleurer, c’est chercher du lien. Avoir honte, c’est avoir cru que vous alliez le perdre."
Option couple : chacun décrit un moment de honte dans la relation, sans interruption ni justification.
Objectif : passer de "je suis honteux·se" à "j’ai ressenti de la honte dans tel contexte".
Étape 2 — Localiser et stabiliser dans le corps
But : contenir l’émotion pour éviter le débordement et restaurer un sentiment de sécurité corporelle.
Consignes générales :
-
"Où sentez-vous cette honte dans votre corps ?"
-
"Quelle forme, température, couleur elle aurait ?"
-
"Posez vos mains sur cette zone et laissez-la exister sans la chasser."
Elle dit : "C’est dur et ça fait une boule dans ma gorge."
Je propose : "On ne va pas l’écraser, juste lui donner un espace pour qu’elle ne vous envahisse plus."
Option couple : chaque partenaire observe les signes corporels de l’autre et les décrit sans jugement.
Objectif : permettre à la honte d’être contenue et non subie.
Étape 3 — Contextualiser et déconstruire les normes
But : désinternaliser la honte et la relier à ses origines relationnelles et sociales.
Consignes :
-
"Quand ce type de honte est-il apparu pour la première fois dans votre histoire ?"
-
"Quelles normes / attentes explicites et implicites pesaient sur vous à cette époque ?"
-
"De qui provenait le regard qui vous a fait croire que vous deviez avoir honte ?"
Elle réalise que sa honte d’être en colère vient d’une éducation où "une fille polie ne se fâche pas".
Je lui dis : "Cette honte est sociale, pas innée. Elle dit plus sur les règles qu’on t’a imposées que sur ta valeur."
Option couple : chacun identifie les normes (genre, performance, sexualité, réussite) qui alimentent sa honte dans la relation.
Objectif : montrer que la honte est produite par un système et non preuve d’un défaut personnel.
Étape 4 — Réintroduire le lien et la reconnaissance
But : briser le repli et restaurer un regard sécurisant.
Consignes :
-
Faire dialoguer le patient avec sa honte comme à une part protectrice : "Tu as cru que je devais disparaître pour être aimé" ; "Tu m’as protégé, mais je peux rester même imparfait".
-
En couple : le partenaire écoute sans interrompre, puis nomme ce qu’il voit de vivant, digne et précieux chez l’autre.
Après qu’il ait dit "J’ai honte de mon corps", sa compagne lui répond : "moi je vois un homme qui ose venir vers moi".
Je leur signifie : "ce que vous touchez là, c’est votre courage, pas une faute".
Objectif : créer un contre-regard réparateur, base d’un attachement sécure.
Étape 5 — Réhabilitation corporelle et engagement symbolique
But : réintégrer le corps et le lien comme territoires légitimes.
Consignes :
-
Mouvement libre ou postures de fierté (debout, regard horizontal).
-
Phrases de légitimation à voix haute : "ce corps est le mien et il a droit d’être là", "je peux prendre place sans me corriger".
-
Créer une forme / un objet symbolique de la honte (masque, ombre, animal…) et une forme de la part réhabilitée (totem, emblème, couleur).
-
En couple : choisir un mot-talisman et un geste-signature pour s’en souvenir dans les moments de doute.
Elle choisit un masque gris pour sa honte et une louve rouge pour sa part réhabilitée.
Lui : "Quand tu doutes, je te rappellerai la louve"
Objectif : transformer la honte en trace intégrée et non stigmate.
Étape 6 — Réintégration systémique et anticipation des cycles
But : élargir l’impact et prévenir les rechutes.
Consignes :
-
"Comment cette honte a influencé votre façon d’entrer en lien (famille, travail, amitiés) ?"
-
"Qu’est-ce que cette traversée peut changer dans vos relations ?"
-
"Comment saurez-vous que la honte revient et comment pourrez-vous la retraverser sans moi ?"
Option couple : s’engager à nommer mutuellement les signes de repli chez l’autre avec bienveillance.
Objectif : inscrire le changement dans le réseau relationnel global et renforcer l’autonomie en cas de rechute.
Étape 7 — Symbolisation et clôture rituelle
But : sceller la transformation et créer une trace durable.
Consignes :
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Écrire une phrase de synthèse :
-
"Ce que je choisis de retenir de ce moment est… "
-
-
Lire cette phrase à voix haute (ou au partenaire).
-
En couple : échanger le mot-talisman et le geste-signature, puis se regarder quelques secondes en silence.
Elle lit : "J’ai le droit d’être entière"
Lui répond : "Et moi, je choisis de te voir entière"
Je leur dis : "Cette phrase est votre ancrage commun"Objectif : ancrer la transformation dans le symbolique, le corporel et le relationnel.
Nota : points de vigilance thérapeutique
-
Si vous restez figé à l’étape 1 : suspendre, réancrer par les 5 sens, ou reporter. l'exercice.
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Nommer que la honte reviendra parfois et que ce ne sera pas un échec.
-
Clore toujours ce genre de cheminement sur une trace corporelle, relationnelle et symbolique de sécurité.

Conclusion
Tout au long de cet article, nous avons vu que la honte n’est pas une simple gêne passagère. Lorsqu’elle devient honte chronique, elle s’infiltre partout : dans le corps qui se crispe, dans le désir qui s’éteint, dans les liens où l’on n’ose plus se montrer tel·le qu’on est. Elle finit par nous faire croire que nous sommes "de trop" tellement parfois nous nous sentons "pas assez".
En fait, cette honte raconte surtout une peur d’être rejeté·e, forgée dans des expériences précoces où notre valeur n’a pas été reconnue.
En comprenant son origine et en apprenant à la traverser pas à pas (dans le corps, dans le lien, dans le regard de l’autre), il devient possible de reprendre sa place sans avoir à se justifier. Pour enfin vivre.
Traverser la honte ne se fait pas en un jour.
Ce travail demande un cadre sécurisant, stable et bienveillant, où l’on peut avancer à son rythme, parfois reculer, parfois rester immobile un temps.
La honte peut revenir par vagues, surtout quand on affronte de nouveaux défis relationnels ou sexuels.
Cela ne signifie pas pour autant que l’on régresse : c’est souvent le signe que l’on touche des zones très anciennes, qui ont besoin d’être guéries en douceur, avec patience.
C’est pourquoi il est essentiel de ne pas rester seul·e face à elle : la honte ne guérit pas dans le silence. Non. Elle se transforme dans le regard d’un autre qui continue de nous voir, même quand nous n’osons plus nous montrer.
Quand on ose regarder sa honte au lieu de s’y enfermer, quelque chose bascule. Le corps se détend, le désir retrouve sa place et les liens deviennent plus vrais, plus libres, plus vivants. On cesse de chercher à être parfait·e pour être aimé·e : on commence à aimer et à être aimé·e tel·le qu’on est, sans se cacher.
C’est sur ce chemin que je vous accompagne à transformer la honte en une force de reconstruction intérieure,
à travers :
-
des séances individuelles (45 min) pour vous reconnecter à votre corps, apaiser vos blessures d’attachement et retrouver votre élan vital,
-
des séances de couple et de sexothérapie (1h) pour retisser la communication, raviver le désir et recréer un lien amoureux vivant, libre et sécurisant.
-
dans le parcours intensif de 10 séances de 1h30 "Voyage au cœur de soi" : un chemin pour libérer la honte, réhabiliter le corps et réapprendre à habiter le lien avec confiance.
Séances en présentiel à Pessac (près de Bordeaux) ou en visio.
Prenez rendez-vous : https://www.neosoi.fr/tarifs-sexo-couple-bordeaux
Traverser la honte, c’est réapprendre à se tenir debout dans le regard de l’autre, sans baisser les yeux.
Bibliographie
-
Audibert, C. (2018). Les blessures d’attachement. Paris : Payot.
-
Bacqué, M.-F. (2019). Psychologie de la santé : Traumatismes et résilience. Paris : Dunod.
-
Bateman, A., & Fonagy, P. (2019). La thérapie basée sur la mentalisation : Principes et applications (Trad. française). Paris : Dunod.
-
Cyrulnik, B. (2014). Les âmes blessées. Paris : Odile Jacob.
-
Hanot, N. (2020). Les blessures d’attachement : Les comprendre et les dépasser. Bruxelles : Éditions Érès.
-
Jeammet, P. (2017). La construction de soi. Paris : Odile Jacob.
-
Jeammet, P. (2022). Adolescence et vulnérabilité narcissique. Paris : Odile Jacob.
-
Moro, M.-R. (2018). Grandir en situation transculturelle : Être soi parmi les autres. Paris : La Découverte.
-
Moro, M.-R. (2023). Vivre avec soi : l’identité en mouvement. Paris : Odile Jacob.
-
Persiaux, G. (2021). Guérir des blessures d’attachement : Retrouver son élan vital grâce à la psychologie de l’attachement. Paris : Eyrolles.
-
Porges, S. W. (2021). La théorie polyvagale : Les fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation (Trad. française). Paris : De Boeck Supérieur.

NeoSoi - Dr Céline BERCION - psychologue sociale et systémique, thérapie de couple et sexothérapie - Bordeaux et visio
36 Avenue Roger Cohé
33600
Pessac
France
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