Faire l’amour sans pénétration systématique : retrouver le lien vivant, le jeu et le désir dans le couple
Quand "faire l’amour" devient une obligation silencieuse
Ce soir-là, il ne cherche pas à forcer. Il espère juste un geste, un signe, un peu de tendresse. Il sait très bien qu’elle n’a pas envie. Il le sent à la manière dont elle s’échappe déjà sous la couette, dont son corps se replie avant même qu’il ait bougé.
Mais cela fait un mois qu’ils n’ont pas fait l’amour. Il se dit que c’est normal, légitime, presque nécessaire. Parce qu’un homme "ça a des besoins". Et qu’attendre plus longtemps lui semble absurde, voire injuste.
Elle, elle voit venir la scène avant même qu’elle commence. Elle l’aime, oui. Mais son corps, lui, dit non.
"Je n’ai pas envie, je n'ai plus envie",
"Je n’ai plus de désir"Cette phrase, je l’entends si souvent. Ce n’est pas une plainte. C’est une lucidité. Dans cet article, je veux parler de cette forme de lassitude charnelle née de la certitude que tout rapprochement, toute ébauche de jeu, finira par la même scène : la pénétration.
Ce n’est pas que les femmes n’ont plus envie de sexualité (surtout lorsqu'elles conservent une pratique masturbatoire personnelle). C’est qu’elles n’ont plus envie de ce scénario-là. À force de savoir d’avance ce qui va se passer, le désir se retire.
Dans la majorité des couples hétérosexuels, une caresse est rarement juste une caresse. Cette caresse sonne généralement le point de départ d’une suite déjà connue... Et à force, de nombreuses femmes cessent d’avoir envie de commencer.
Selon l’enquête VIRAGE (Bozon & Bajos, INED, 2020), 57 % des femmes déclarent avoir déjà accepté un rapport sexuel sans en avoir envie, souvent pour éviter la tension ou préserver la paix du couple. Pour le dire autrement, ce n’est pas une histoire de désamour, c’est un désalignement des rythmes et des attentes, une forme d’épuisement érotique née d’un script sexuel trop étroit.
Comme le montre Anthony Giddens (La Transformation de l’intimité, 1992), notre culture reste marquée par une sexualité phallocentrée : la pénétration demeure la preuve d’amour, la validation du lien, la mesure du couple "qui fonctionne.".
Mais ce modèle enferme les deux.
Lui, parce qu’il confond le besoin avec le lien.
Elle, parce qu’elle confond l’amour avec la disponibilité.Dans notre culture, la sexualité hétérosexuelle obéit à un scénario très codifié : un geste, un frisson, un regard, une tension érotique… et aussitôt, la suite s’écrit toute seule. Ce n’est pas une question d’individus "bloqués" ou de manque d’éducation sexuelle, mais le résultat d’un imaginaire collectif profondément ancré qui fait de la pénétration le centre de la preuve amoureuse et de la validation du couple.
Comprendre comment ce modèle s’est construit (dans l’histoire, la religion, la culture et la psychologie) c’est déjà commencer à le désamorcer, à s'en émanciper et à rouvrir l’espace du jeu, de la lenteur et du choix. Faire l’amour sans pénétration systématique, "aller jusqu’au bout" ce n’est pas refuser la sexualité. C’est redonner au corps la liberté du choix, à l’érotisme la permission du jeu et au couple la possibilité du mystère.

I. Comment la pénétration est devenue le cœur du script amoureux
Dans bien des couples, l’érotisme ne s’éteint pas parce qu’il n’y a plus d’amour. Au-delà de ce que les travaux de recherches en sexologie nous enseignent sur la perte de désir (trop de fusion, trop de sécurité affective, etc.), le désir s’éteint aussi parce que le scénario est déjà connu. Une main posée, un massage, un frôlement…
et déjà, le corps anticipe la suite. Pas besoin de mots : tout est écrit.Une main posée, un massage, un frôlement… et déjà, le corps anticipe la suite. Pas besoin de mots : tout est écrit. Elle le sent avant même qu’il ait commencé à la toucher. Le simple fait qu’il s’approche derrière elle dans la salle de bain déclenche une alerte sourde. Elle sourit, esquive, s’éloigne. Il le remarque, mais ne dit rien.
Alors chacun invente ses stratégies d’évitement : sortir plus souvent, regarder des séries, se coucher à des heures décalées, se câliner "juste un peu" sans jamais vraiment se retrouver.
En fait, ces rituels ne parlent pas de désamour, mais d’une fatigue du prévisible : la peur que chaque rapprochement mène inévitablement à la même fin.
Beaucoup de femmes me le disent en séance :
"J’aimerais pouvoir être touchée sans que ce soit forcément le début de quelque chose".
Ce qu'elles veulent dire c'est qu'elles ne refusent pas le contact. Elles refusent l’enchaînement.

I.1 Le scénario invisible
Nos cultures ont fait du sexe une histoire à dérouler : on commence, on monte, on finit.
Les mots eux-mêmes trahissent la logique : faire l’amour, aller jusqu’au bout, terminer. Le plaisir se confond avec l’achèvement.
La sociologue Bozon (INED, 2020) montre que, dans plus d’un couple sur deux, la sexualité est associée à un enchaînement fixe : excitation → caresses → pénétration → orgasme masculin. Autrement dit : un automatisme culturel.
Et cette mécanique s’ancre dans le corps. Chaque geste devient un signal conditionné : un baiser un peu appuyé = la suite. C’est presque un réflexe pavlovien du lien. Le système nerveux apprend à anticiper ce qui va suivre ; il associe le rapprochement à un rapprochement charnel imminent. Comme l’a montré Anthony Giddens (La Transformation de l’intimité, 1992), la modernité sexuelle, bien qu’émancipée des interdits religieux, reste phallocentrée : le sexe masculin agit, le corps féminin s’adapte.
Et quand une caresse au réveil le matin ne peut plus être juste une caresse, quand le corps anticipe déjà la suite, alors le désir cesse d’être un jeu pour devenir une obligation.
I.2 Héritages discrets : religion, science et morale
Pendant des siècles, l’Église a associé la sexualité au devoir conjugal : l’acte charnel n’avait de sens qu’orienté vers la procréation. La jouissance féminine, sans finalité maternelle, devenait suspecte.
Puis la médecine a pris le relais : au XIXᵉ siècle, la sexualité est devenue une affaire d’hygiène et de morale.
Freud décrira la sexualité "mature" comme celle qui mène à la pénétration ; tout ce qui s’arrête avant est jugé inachevé. Même le mot préliminaire trahit cette hiérarchie.
Michel Foucault (Histoire de la sexualité, 1976) parlera d’un pouvoir sur les corps : définir le "vrai sexe", c’est réguler le vivant. Et ce pouvoir se murmure encore en 2025 dans de nombreux couples qui viennent en consultation : "si on n’a pas pénétré, on n’a pas vraiment fait l’amour".
Par ailleurs, Philippe Brenot rappelle que l’homme est socialement valorisé pour ce qu’il fait, pas pour ce qu’il ressent. Et dans l’intimité, cette logique se rejoue : il "fait l’amour" pour partager un moment agréable, mais également pour sentir qu’il fait partie du monde. Or, comme l’a montré Alain Héril (2019), cette identification empêche le contact avec la sensorialité masculine : l’homme qui agit pour prouver ne peut plus ressentir pour rencontrer. Son plaisir devient vertical, orienté, rapide, linéaire et possiblement anxieux.
Ce que la société appelle virilité, c’est souvent une peur inavouée :
celle de ne plus exister hors du rôle pénétrant.
À cela s’ajoute la pornographie contemporaine, devenue l’un des premiers "manuels d’éducation sexuelle" des jeunes générations. Héril (2022) et Brenot (2020) montrent d'ailleurs comment elle renforce une vision mécanique et unilatérale du plaisir : le corps féminin comme réceptacle, le masculin comme moteur.
Cette représentation visuelle et répétitive modèle inconsciemment les attentes :
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l’homme croit qu’il doit "assurer",
-
la femme croit qu’elle doit "tenir le rythme".
Résultat : les couples performants sont souvent les plus désincarnés. Ils font l’amour avec exactitude, mais plus avec présence. La pornographie a standardisé la scène, mais elle a vidé le geste de sa chair.

I.3 Le poids du scénario aujourd’hui
Ce modèle, nous le portons tous. Même les couples égalitaires, conscients, bienveillants.
Ils parlent, s’écoutent, s’aiment sincèrement, mais dans la chambre, le vieux scénario à moment donné va reprendre la main.
"Si je le laisse m’approcher, il va croire que je veux".
"Si elle refuse, c’est qu’elle ne m’aime plus".
Ces phrases disent éminnement la peur du décalage. Elle anticipe la suite et se ferme ; il sent cette fermeture et se sent rejeté. Alors il se retient, mais elle culpabilise. Comme on peut le voir : chacun agit par amour, mais depuis la peur.
Et puis la boucle se referme : plus elle évite, plus il s’inquiète ; plus il s’inquiète, plus elle évite. L’éros s’étouffe dans le non-dit. Winnicott (1971) disait que le désir naît dans le jeu : c’est l’espace où rien n’est obligé. Quand la sexualité devient automatique, le jeu disparaît et le corps s’éteint.
I.4 Le cercle d’ajustement mutuel
Peu à peu, un cercle d’adaptation s’installe. Elle se protège pour éviter la contrainte ; il se rapproche pour éviter la distance. En fait, chacun agit depuis la peur : elle, celle d’être envahie et utilisée ; lui, celle d’être rejeté. Et plus elle anticipe, plus son corps se referme. Plus il perçoit cette fermeture, plus il se sent illégitime et moins il ose. Ils ne s’évitent pas l’un l’autre : ils évitent la douleur de ne plus se comprendre.
Claude Crépault (2017) nomme ce processus le "conditionnement de défense sensuelle" : la femme se coupe de sa sensualité pour éviter la contrainte anticipée. Le plaisir devient un terrain miné.
Et au niveau du lien, c'est précisément ce que décrit Gwenaëlle Persiaux (2019) comme un "désalignement du désir" : le couple n’est plus dans un conflit d’amour, mais dans une perte de sécurité émotionnelle. Leur danse devient alors défensive : chacun cherche à sauver le lien, mais leurs corps ne se parlent plus.
Quelques signes discrets permettent souvent de repérer que la dynamique s’installe :
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La respiration se raccourcit ou se bloque dès qu’un contact devient prolongé.
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Le regard s’échappe, les épaules se tendent, le ton se fait plus sec ou plus distant.
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L’homme hésite avant d’approcher, vérifie plus souvent : "Tu veux ? Ça va ?"
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Le contact corporel devient ritualisé : baiser automatique, câlin mécanique.
Ce ne sont pas des symptômes de désamour. Ce sont des signaux d’un système nerveux en désaccord avec le scénario imposé.

II. Pourquoi les hommes ne vivent pas les mêmes choses
Pour beaucoup d’hommes, tout va bien (ou tout au moins, c'est acceptable) tant qu’il y a encore "un peu de sexe". Ils respectent leurs compagnes, ne forcent pas, attendent parfois des semaines. Mais quand le contact revient, il suit le même chemin : quelques gestes tendres, un frôlement, un baiser et la suite est connue.
"Je ne la brusque pas, je l’aime. Mais si je ne tente rien, il ne se passe plus rien".
Ces phrases disent la bonne volonté sincère, mais aussi l’aveuglement culturel. Car derrière cette répétition du scénario, il y a un script si intégré qu’il passe inaperçu : faire l’amour = pénétrer.
Et pour beaucoup d’hommes, ce geste n’est pas une contrainte, c’est même une preuve de lien. Ils ne comprennent pas le désintérêt de leur compagne, parce que la pénétration, pour eux, n’est pas qu'un acte sexuel : c’est une manière d’exister dans la relation, de faire lien.
Mais voilà le hic : ce qui, pour lui, relie, pour elle, enferme. Ce qui, pour lui, rassure, pour elle, fatigue.
Et tant que ce décalage n’est pas nommé, le couple reste prisonnier du même scénario.
Ce que les hommes perdent dans cette identification
Tant qu’un homme reste identifié à la pénétration, il croit gagner alors qu’il perd beaucoup.
Il perd la lenteur, la surprise, la profondeur. Il perd le plaisir diffus du corps entier. Il perd surtout le contact avec la sensibilité de la femme qu’il aime.
Philippe Brenot le dit sans détour : "les hommes jouissent souvent, mais ne sentent plus". Leur sexualité s’est appauvrie : orientée, mécanique, brève. Ils ont hérité d’un modèle où la puissance se mesure à la raideur du sexe et non à la qualité du lien (le terme de "relation sexuelle" comporte bien le terme de "relation"). Ils croient être maîtres du jeu, mais sont en fait prisonniers d’un rôle : celui de devoir désirer pour prouver qu’ils existent.
Or, cette sexualité les épuise nerveusement. Le système dopaminergique s’emballe, cherchant la montée d’adrénaline mais sans jamais atteindre la détente profonde qu’apporte l’ocytocine, l’hormone du lien et du relâchement. Ils jouissent, mais ne s’abandonnent jamais. Et dans cet écart, le plaisir devient une tension, pas une communion.

Le coût psychique invisible : l’homme qui fait, mais ne se sent plus
Derrière ce que l'on nomme alors la virilité performante se cache une angoisse rarement dite : celle de ne pas être désiré autrement que pour ce qu’il fait. On parle ici de la peur du rejet. La pénétration, dans ce contexte, devient un acte de survie symbolique. Elle rassure le mental, mais vide le cœur. Car tant que le geste reste associé à la preuve de valeur, l’homme ne peut pas se détendre dans le plaisir. Il agit sous tension, non par désir, mais par devoir affectif.
Pascal Hachet rappelle d'ailleurs que la peur du manque sexuel est une peur archaïque : celle d’être "expulsé du lien" si l’on ne prouve pas sa virilité. Et cette peur, à force d’être contenue, finit par créer du silence, de la honte et de la solitude.
Le travail thérapeutique consiste à réintroduire du choix là où il n’y en avait plus. Il constiste à redonner à chacun le droit d’écouter ses signaux sans se sentir coupable ou rejeté. Parce que, comme le dit Alain Héril (2019), "le corps n’a pas besoin d’être pris, il a besoin d’être entendu". Quand le corps peut dire non sans peur, il peut dire oui avec tout son être.
Et quand l’homme comprend que la pénétration n’est pas un rejet, mais une invitation à une autre forme de lien, il cesse d’avoir à prouver et retrouve le désir de rencontrer.

III. Réapprendre à faire l’amour autrement : souffle, jeu, lenteur, présence
Les hommes ne sont pas coupables d’aimer à travers la pénétration, pas plus que les femmes ne sont fautives de ne plus en vouloir. Mais chacun doit prendre la responsabilité de son endroit d’aveuglement.
Les hommes peuvent apprendre à ressentir avant d’agir, à explorer sans viser l’aboutissement.
Les femmes, à redécouvrir le plaisir sans culpabilité, à se réapproprier leur tempo et leur corps.
C’est ce que Patrice Lopès appelle "la réconciliation du féminin et du masculin dans le geste". Une sexualité consciente n’est pas une morale : c’est une écologie du vivant.
La plupart des hommes pensent qu’il faut "tenir" dans l’acte. En réalité, le souffle n’est pas là pour retenir,
mais pour faire circuler l’énergie sexuelle.
Respirer profondément, c’est faire descendre le plaisir du bassin vers tout le corps. C’est passer du sexe localisé à l’éros global. C’est sortir de la tension pour retrouver la puissance tranquille. Le souffle n’est pas un contrôle, c’est une maîtrise intérieure.
Les traditions tantriques et la sexothérapie moderne (Héril, Crépault) se rejoignent : l’homme qui respire devient capable de sentir avant d’agir. Et c’est précisément cela qui change tout dans le rapport à l’autre.
La femme sent immédiatement la différence :
le corps n’avance plus pour prendre, il avance pour rencontrer.
Le jeu : l’antidote à la peur de ne plus être désiré
Le jeu n’est pas une perte de sérieux, c’est une preuve de sécurité intérieure. Un homme qui ose jouer n’a plus besoin de prouver. Il peut explorer, improviser, s’amuser et c’est souvent là que renaît le désir de sa partenaire.
Esther Perel le dit avec justesse : "le jeu, c’est la liberté d’être érotique sans enjeu".
Mais pour beaucoup d’hommes, jouer, c’est risquer le ridicule. C’est quitter le terrain connu de la performance pour celui de la vulnérabilité. Et pourtant, c’est précisément là que réside leur puissance nouvelle : celle de ne plus confondre échec et décalage et de redonner à la rencontre son imprévisibilité.
La lenteur : non pas perdre du temps, mais créer de la densité
Beaucoup d’hommes confondent lenteur et mollesse. Mais la lenteur n’est pas un frein : c’est un amplificateur de plaisir. Claude Crépault rappelle que l’excitation masculine est rapide mais fragile, alors que l’excitation féminine est lente mais durable. Quand l’homme ralentit, il ne fait pas "moins", au contraire, il permet plus : plus de profondeur, plus d’accordage, plus de sensations.
La lenteur, c’est le contraire de l’ennui : c’est la capacité à rester dans la tension juste avant la bascule, cet espace où le temps s’étire et où les corps se parlent.
Ce n’est pas la vitesse qui éteint le désir, c’est la certitude de savoir où il va mener.
La lenteur ramène du mystère. Et c’est précisément ce mystère que le féminin réclame pour désirer à nouveau.

La présence : puissance tranquille et écoute incarnée
La présence, ce n’est pas "être là", c’est être entier. C’est sentir ce que l’on fait pendant qu’on le fait. C’est regarder, écouter, ajuster, sans chercher à réussir. Patrice Lopès parle à ce sujet de "présence charnelle" : un état d’attention sensorielle totale. Un homme présent n’est pas un homme passif : c’est un homme habité. Il ne cherche plus à conquérir le corps de l’autre, il l’écoute, il y répond, il s’y relie.
La vraie puissance masculine n’est pas dans la force du geste, mais dans la précision de la présence.
Et c’est cette qualité de présence qui rouvre le désir féminin : parce que le corps de la femme ne craint plus d’être pris, il peut à nouveau se laisser aller à être rencontré.
Le passage : du contrôle à la maîtrise, du devoir à la liberté
Ce travail ne demande pas aux hommes de renoncer à leur puissance, mais de la réinventer.
De quitter la performance pour la maîtrise, la conquête pour la conscience, la mécanique pour la magie.
Les femmes, elles, cessent de s’éteindre ; elles recommencent à désirer, à oser, à guider.
Et les hommes, loin de perdre leur virilité, découvrent une puissance plus vaste :
celle de pouvoir faire jouir sans pénétrer, exister sans dominer, aimer sans s’épuiser.
Réapprendre à faire l’amour autrement, ce n’est pas devenir moins homme. C’est devenir plus vivant.
En résumé
Les hommes ne voient pas le problème parce que ce modèle leur donne une place.
Mais il leur prend leur présence, leur repos et leur profondeur.Réapprendre à faire l’amour autrement, ce n’est pas retirer au masculin sa puissance, c’est au contraire lui rendre son souffle. Réapprendre à faire l’amour autrement, c’est refuser que la sexualité soit un devoir conjugal ou une validation identitaire. C’est un acte de désobéissance douce face au conditionnement.
Clarissa Pinkola Estés dirait :
"Ce n’est pas le sexe qu’il faut sauver,
c’est le feu qui l’habite".
Et Esther Perel ajouterait :
"Le désir renaît là où l’on ne cherche plus à être aimé,
mais à se sentir vivant"

IV. Rituels d’éveil érotique : réapprendre à se toucher, se respirer et se choisir
Le souffle du lien : respirer ensemble pour sortir de la peur du contact
Respirer ensemble, ici, n’est pas une technique.
C’est un acte de réconciliation nerveuse : deux systèmes qui réapprennent à se faire confiance.
Comment faire :
Asseyez-vous face à face, sans vous toucher. Inspirez par le nez, expirez par la bouche, lentement. Laissez vos respirations se synchroniser. Si une émotion monte, laissez-la venir. Ne cherchez pas à "détendre l’autre" : laissez le souffle faire son travail.
Symboliquement, ce rituel redonne voix au corps qui s’est tu.
Physiologiquement, il régule le système vagal et relance la sécurité du lien.
Pour lui : c’est canaliser la puissance au lieu de la décharger.
Pour elle : c’est être approchée sans avoir à se défendre.
Le toucher conscient : redonner confiance au corps qui s’est protégé
En thérapie, beaucoup me disent :
"Je ne supporte plus qu’il me touche, même tendrement".
"J’ai peur de mal faire, alors je n’ose plus".
Le toucher conscient vient réparer cette méfiance. Il n’a pas de but, pas d’attente. Il ré-apprend au corps que le contact peut être sûr.
Comment faire :
Décidez qui donne et qui reçoit. Le donneur touche lentement, hors zones génitales. L’autre respire. Quand le mental s’agite (du genre, "qu'est-ce qui va se passer après ?"), revenez au geste. Changez de rôle après dix minutes.
Ce toucher remet du consentement vivant dans la peau.
Il apprend au corps masculin qu’il peut être sensuel sans viser et au corps féminin qu’il peut recevoir sans se préparer à se fermer.
Clinique : relance du circuit ocytocine-dopamine (Crépault, 2017) ; symboliquement, c'est une re-sacralisation du contact.
Si la gêne arrive, riez-en. Le rire, ici, est un signe de sécurité : le corps recommence à parler.
La lenteur sacrée : transformer le temps en intensité
Dans la plupart des couples, le corps anticipe : on sait où tout va finir. On l'a vue, c’est cette prédictibilité qui tue le désir. Or, la lenteur n’est pas l’absence d’élan : c’est la densité retrouvée du geste.
Comment faire :
Choisissez un moment calme. Embrassez-vous… puis arrêtez-vous. Regardez-vous. Reprenez. Ralentissez encore. Observez la montée d’énergie quand rien ne "doit" arriver.
Pour lui : la lenteur devient maîtrise du temps intérieur, non perte de puissance.
Pour elle : la lenteur est sécurité, non frustration.
Physiologiquement : elle stimule le parasympathique, augmente la durée et la profondeur du plaisir.
Symboliquement : elle transforme la pénétration en éventualité, pas en finalité.
Au début, vous allez rire, être gênés, ou croire que "rien ne se passe". Mais c’est justement là que tout commence : le corps sort du mode réflexe pour retrouver la curiosité du vivant.

Intégrer : parler pour que le corps se souvienne
Après chaque rituel, prenez cinq minutes pour nommer ce qui a bougé.
Pas pour juger mais pour mettre du sens.
"Quand tu n’as pas cherché à conclure, j’ai eu envie d’aller plus loin".
Ces phrases re-scellent la sécurité du lien. Elles reprogramment la mémoire émotionnelle : le corps apprend qu’il peut désirer sans se trahir et aimer sans se forcer.
Ce que cela change vraiment
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Pour l’homme, ces rituels rendent la puissance vivante : érections plus stables, plaisir plus long, sensation d’énergie plutôt que de tension.
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Pour la femme, ils réouvrent la porte du désir : plus de chaleur, de curiosité, moins de peur.
-
Pour le couple, ils recréent la confiance du jeu : le droit de se rater, de rire, de recommencer.
On ne guérit pas la sexualité par la morale mais par la rééducation du geste.
Faire l’amour sans pénétration systématique, ce n’est pas devenir sage ; c’est redevenir libre. C’est apprendre à respirer ensemble plutôt qu’à s’imposer l’un à l’autre. À sentir au lieu de performer. À se choisir, encore, autrement.
Et si vous ne savez pas par où commencer, commencez par cela :
asseyez-vous face à face, et respirez.

FAQ
1. Faire l’amour sans pénétration, est-ce encore "faire l’amour" ?
Oui. Et souvent, c’est là que l’amour redevient vivant.
Faire l’amour sans pénétration, c’est revenir au cœur du lien : celui où le corps se parle sans finalité.
Comme le rappelle le sociologue Anthony Giddens (La transformation de l’intimité, 1992), notre culture a confondu amour et coït, au point d’en faire le mètre étalon du lien conjugal.
La pénétration n’est pas l’aboutissement du lien : elle n’en est qu’une traduction possible.
Quand on s’autorise à ne pas "aller jusqu’au bout", le corps retrouve la curiosité, le jeu, le mystère. Ce n’est pas refuser la sexualité ; c’est la réinventer.
Et vous ? Quand avez-vous aimé sans chercher à conclure ?
2. Pourquoi certaines femmes n’ont plus envie de rapports sexuels ?
Parce qu’elles savent déjà comment ça va se finir. Chaque caresse devient un code implicite : "si je dis oui maintenant, je ne pourrai plus m’arrêter après". Ce n’est pas un désamour, c’est une fatigue du scénario (Bozon & Bajos, 2020).
Comme l’analyse la journaliste Fiona Schmidt dans Corvée de sexe (2024), nombre de femmes continuent à se prêter au rapport sexuel par loyauté amoureuse ou peur du rejet, jusqu’à confondre "faire plaisir" et "se trahir". Cette logique d’obligation affective transforme le corps en terrain de service plutôt qu’en espace de désir.
"Beaucoup de femmes ne manquent pas de libido, elles manquent d’espace pour la laisser vivre." -F. Schmidt, Corvée de sexe, 2024
Comme le rappelle aussi Nathalie Hanot, le corps féminin anticipe, se ferme, se protège. Quand tout est prévisible, le désir se retire, pas par refus, mais par protection.
Le désir ne disparaît jamais : il s’éteint quand il n’a plus la liberté de choisir.
Et vous ? Votre désir s’est-il éteint, ou s’est-il simplement mis à l’abri ?
3. Pourquoi les hommes s’identifient-ils autant à la pénétration ?
Parce qu’ils y ont été formés socialement. Depuis des générations, on leur enseigne que "faire l’amour" = "agir", "pénétrer", "tenir".
Comme l’écrit Claude Crépault (L’homme et le plaisir, 2017), la virilité occidentale s’est construite sur une équation : érection = existence.
Beaucoup d’hommes le savent : elle n’a pas envie. Mais dans leur tête, attendre, c’est "ne plus exister". Ils espèrent un signe, un geste, une ouverture, pas seulement du sexe d'ailleurs, mais la preuve qu’ils comptent encore.
Derrière la pénétration, il y a souvent un cri d’amour mal traduit.
Sortir de ce modèle, ce n’est pas renoncer à sa puissance, c’est retrouver la puissance d’aimer autrement.
Et vous, messieurs ? Votre virilité est-elle un acte ou une présence ?
4. Les hommes peuvent-ils prendre du plaisir sans pénétrer ?
Oui, et souvent plus intensément.
La pénétration concentre le plaisir dans un seul point. Sans elle, l’énergie circule dans tout le corps, comme une onde. C’est ce que Sylvain Mimoun appelle "la jouissance diffuse" : un orgasme élargi, non linéaire, moins mécanique.
Le corps masculin ne perd rien à s’ouvrir : il gagne en profondeur.
Beaucoup découvrent alors une érotique plus lente, plus énergétique, plus vibrante. Le plaisir ne se réduit plus à l’éjaculation, il devient un état. Et si le vrai feu masculin était celui qui ne cherche plus à conclure ?
5. Comment relancer le désir sans forcer ?
En rejouant ensemble.
Pas pour exciter, mais pour ressentir. Regardez-vous. Touchez-vous sans but. Respirez ensemble. Laissez les gestes sans finalité devenir un langage.
Comme l’écrit Gwenaëlle Persiaux (Guérir des blessures d’attachement, 2019), la sécurité émotionnelle est le premier aphrodisiaque. Le désir renaît quand le corps sait qu’il peut s’arrêter à tout moment sans briser le lien. Le désir renaît quand le corps n’a plus peur de la suite.
Et vous ? Quand avez-vous joué, juste pour sentir ?
6. Comment réapprendre à aimer autrement dans un couple en crise ?
En désapprenant les automatismes.
Cesser de jouer à "celui qui donne" et "celle qui cède". Accepter de redevenir deux corps en exploration.
Le corps se souvient de tout ; mais il peut aussi réapprendre à aimer.
️ Micro-rituel pratique
Ce soir, asseyez-vous dos à dos.
Respirez ensemble pendant 3 minutes sans parler.
Sentez quand votre respiration se synchronise.
Ne cherchez rien d’autre que ça : être là.
Ce simple exercice relance la sécurité vagale et la connexion émotionnelle. C’est le point de départ de toute reconstruction.
Et vous ? Quand avez-vous respiré ensemble pour la dernière fois ?
7. Pourquoi je me sens coupable de dire non à mon partenaire ?
Parce que notre culture a enseigné aux femmes que l’amour se prouve par la disponibilité.
Dire non, c’est être "froide", "compliquée", "égoïste". Ce conditionnement traverse les générations. Comme le décrit Marie-Frédérique Bacqué, la culpabilité féminine agit comme une colle émotionnelle : elle empêche le corps de s’écouter.
Par ailleurs, comme l’explique Fiona Schmidt dans Corvée de sexe, la culpabilité féminine est une charge invisible : celle de devoir "offrir" son corps pour maintenir la paix du couple. Ce devoir d’être désirable est si intégré qu’il se confond avec la tendresse. Dire non devient alors une transgression morale, presque une faute affective.
"Ce n’est pas le désir qui a disparu, c’est la possibilité de ne pas se justifier" - F. Schmidt, Corvée de sexe, 2024
Et ce conditionnement traverse les générations. Comme le décrit Marie-Frédérique Bacqué, la culpabilité agit comme une colle émotionnelle : elle empêche le corps de s’écouter.
Dire non n’est pas refuser l’amour, c’est se respecter pour mieux aimer ensuite. Sortir de cette culpabilité, c’est réhabiliter le droit au choix. Le désir ne naît pas de l’obligation, mais de la liberté.
Et vous ? Avez-vous déjà osé dire non sans peur de perdre l’autre ?
Faire l’amour sans pénétration systématique, ce n’est pas moins de sexe, c’est plus de vérité. C’est surtout offrir au lien, à, la relation, un nouveau souffle où chacun peut se redécouvrir libre, curieux, vivant. Ce n’est pas un renoncement : c’est une renaissance.

Conclusion
Dans la plupart des couples, ce n’est pas l’amour qui s’éteint, c’est plutôt le désir d’aimer autrement qui n’a jamais été appris.
Nous avons hérité d’une sexualité linéaire, où l’homme agit et où la femme consent ; c'est aujourd'hui un scénario répété, usé, épuisant. Et quand la pénétration devient réflexe, ce n’est plus le corps qui fait l’amour, c’est la peur de décevoir. Le vrai manque n’est pas de désir, c’est le manque de liberté dans le désir.
Lui cherche à exister, elle cherche à se préserver. Et tous deux finissent à distance, prisonniers d’un geste censé les unir.
Réapprendre à faire l’amour, c’est oser suspendre le réflexe, ralentir avant la suite, regarder avant de toucher,
respirer avant de vouloir. C’est remettre du mystère dans le connu, du choix dans l’élan, du vivant dans le lien.
Ce travail n’est ni contre les hommes ni contre la pénétration. Il est pour le couple, pour l’éveil d’une relation où le corps cesse d’être une preuve et redevient un langage. Une sexualité vivante, c’est celle qui ne cherche plus à conclure, mais à rencontrer. Ce n’est pas la fin du sexe, c’est la naissance d’un éros plus conscient.
Et si le cœur du problème n’était pas ce qu’on fait, mais comment on se rejoint ?
Alors, avant de "faire l’amour", commencez simplement par vous regarder sans but, respirer sans attente, vous écouter sans peur.
C’est souvent dans ces quelques secondes suspendues que renaît la vérité du lien : celle d’un amour libre, vivant, incarné.
Vous vous aimez, mais plus rien ne circule. Les gestes se répètent, le silence s’installe et le corps, parfois, se ferme.
Vous tenez, vous espérez, vous cherchez à comprendre… Mais le désir, la joie, la légèreté semblent loin.
Ce que vous vivez n’est pas une impasse. C’est un passage.
En psychothérapie individuelle, en thérapie de couple ou en sexothérapie, je vous accompagne pour retrouver du souffle là où le lien s’est figé :
- À entendre ce que vos émotions racontent.
- À comprendre les dynamiques inconscientes qui rejouent l’histoire.
- À remettre du vivant dans le corps, du sens dans le couple et de la conscience dans la sexualité.
Je propose :
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Psychothérapie individuelle (45 min) pour explorer les blessures, l’identité, la relation à soi, au corps et au désir.
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Thérapie de couple (1h) pour recréer le dialogue, transformer le conflit et réaccorder amour et sécurité.
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Sexothérapie intégrative (1h) pour libérer les blocages, restaurer la confiance corporelle et retrouver une sexualité consciente.
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Parcours "Voyage au Cœur de Soi" (1h30) un accompagnement profond pour traverser les blessures d’amour et renaître à un lien vivant.
L’amour et le couple ne se réparent pas. Ils s’apprennent autrement.
En présentiel à Pessac (33) ou en visio
contact@neosoi.fr
www.neosoi.fr
Bibliographie
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NeoSoi - Dr Céline BERCION - psychologue sociale et systémique, thérapie de couple et sexothérapie - Bordeaux et visio
36 Avenue Roger Cohé
33600
Pessac
France
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