Grandir en soutien invisible de ses parents : comprendre cette blessure d’enfance et la libérer pour réinventer sa sexualité et son couple
Quand on a grandi en soutien invisible de ses parents, on apprend très tôt à deviner, à rassurer, à porter – même quand c’est trop lourd.
Dans ces silences où l’enfant devient confident, régulateur ou encore soignant, la peur s’installe : "si je ne suis pas à la hauteur, je ne mérite pas d’être aimé."
Ce processus s'appelle la parentification. Tu connais ? Ce mot complexe désigne une réalité silencieuse : quand un enfant devient l’adulte de la maison, il porte un fardeau qui n’est pas le sien.
Comme l’ont montré Boszormenyi-Nagy, Jean-François Le Goff ou encore Yves Ulmann, la parentification transforme l’enfant en pilier émotionnel, en confident, en soignant – au prix de son enfance.
Et dans ce rôle inversé ...
l’enfant apprend à deviner, à rassurer, à protéger – mais il oublie surtout comment recevoir.
Une fois adulte, ces racines invisibles - cette blessure invisible - laissent des traces jusque dans l’intimité du couple adulte et façonnent la sexualité : un désir qui se retient, un corps qui surveille au lieu de s’abandonner, un amour qui se mesure à la performance, ou encore une sexualité où l’on “fait bien” mais où l’on ne reçoit jamais vraiment.
Dans cet article, je t'invite à explorer :
✅ Les dynamiques de la parentification et leurs empreintes silencieuses
✅ Comment elles façonnent la sexualité adulte et la capacité à aimer
✅ Des pistes pour libérer le corps et réinventer la relation de couple, dans un travail thérapeutique vers un chemin de déparentification incarné et vivant.

Mécanismes de la parentification : l’enfant qui porte un rôle trop lourd pour ses épaules
La parentification, c’est cette inversion des rôles où l’enfant, avant même de comprendre ce qu’est le monde, devient le pilier d’un parent. La parentification survient lorsque l’enfant se retrouve à porter un rôle qui n’est pas le sien. Comme l’ont formulé Boszormenyi-Nagy et Sparks, puis Jean-François Le Goff, il s’agit d’une inversion des rôles : l’enfant devient le parent émotionnel de son propre parent. Cet enfant n’est pas seulement un fils ou une fille. Il est l’ange gardien, celui qui recolle les morceaux, qui apaise, qui rassure. Il apprend à guetter les soupirs, à prévoir les colères, à traduire les silences.
Cette situation émerge souvent lors de séparations, de conflits familiaux ou lorsque les parents traversent une période de fragilité.
Dans les récits cliniques partagés par les travaux du psychothérapeute Yves Ulmann, on voit combien ces rôles peuvent être insidieux :
-
L’enfant devient intercesseur : il transmet les messages entre deux parents en guerre - "Tu diras à ton père…", "Tu diras à ta mère…".
-
L'enfant devient confident : il écoute les chagrins, les peurs, les espoirs de l’adulte.
-
L'enfant devient même soignant, prenant soin d’un parent épuisé, physiquement ou psychiquement - cuisinier improvisé, petit infirmier voire thérapeute de son parent, etc.
-
Et parfois, celui qu’on appelle pour juger : “Elle te plaît, cette femme ? Tu penses qu’elle me rend heureux ?” – comme si l’amour devait passer par le regard d’un enfant.
-
Etc.
Dans l’intime, l’enfant parentifié comprend vite qu’il n’a pas le droit de demander.
Son désir ? Secondaire.
Ses larmes ? Rangées dans un tiroir invisible.

Quand l’enfance devient un champ de loyautés invisibles
Bien entendu, la parentification n’est pas toujours toxique. Le Goff distingue d'ailleurs 2 formes :
- Une parentification constructive, lorsqu’elle est temporaire, reconnue et que l’enfant reçoit un soutien et de la reconnaissance de son parent.
- Une parentification destructrice, lorsque l’enfant est seul à porter, sans écoute, sans place pour ses besoins.
Et c'est bien cette dernière qui laisser des empreintes majeures sur l'enfant devenu adulte. Le Goff le souligne bien : la parentification n’est pas qu’un “problème d’hypermaturité”. En fait, c’est surtout une loyauté invisible qui s’inscrit dans chaque fibre de l’enfant :
Il apprend très tôt que l’amour est un effort.
Il apprend vite que pour exister, il faut “faire bien”.
Il apprend avant tout que son corps est un outil pour apaiser, mais trop rarement un lieu pour recevoir.
Ces croyances, ancrées dans l’enfance, deviennent plus tard des filtres qui vont venir coloniser la sexualité et la relation de couple...
Ce renversement des rôles laisse des traces :
Il brouille la confiance dans la figure parentale.
Il crée une confusion sur la place de chacun.
Il installe, dès l’enfance, un modèle relationnel inversé : aimer devient “prendre soin” plutôt que “se laisser aimer”.
Ces enfants-là développent un sens de la responsabilité disproportionné. Ils deviennent, plus tard, des adultes qui, dans le couple, auront du mal à recevoir, à lâcher prise, à s’autoriser la vulnérabilité. Leur sexualité peut rester teintée de contrôle ou de devoir, comme si l’enfant vigilant ne s’était jamais autorisé à s’endormir.

Libérer la sexualité et réinventer le couple : de la déparentification à la renaissance du désir
Comme le souligne Ulmann : reconnaître ce qui s’est joué est déjà un premier pas. Et c'est tout l'enjeu du travail thérapeutique que de s’autoriser à dire “j’ai besoin, j’ai envie”, sans craindre d’être jugé ou de “mal faire”.
Cela commence par la reconnaissance :
- "Oui, j’ai été un enfant parent. J’ai porté trop jeune."
- "Aujourd’hui, je choisis de ne plus sauver l’autre. J’ose me montrer."
Je rejoins l'affirmation de Le Goff lorsqu'il défend l'idée selon laquelle plus la parentification est vue et reconnue, moins elle abîme la confiance et la capacité à aimer au présent.
Par ailleurs, Stéphanie Haxhe (2011) insiste sur l’importance de reconnaître et de traverser la blessure initiale. Pour elle, la déparentification est avant tout un processus relationnel : il ne s’agit pas seulement de comprendre, mais de ressentir dans le corps que le poids peut être déposé. Travailler sur la déparentification en thérapie, c'est ouvrir un chemin qui traverse le corps et la relation.
Le corps comme espace d’accueil
René Roussillon (1995) nous rappelle que la guérison ne peut pas se limiter aux mots : elle passe aussi et surtout par la réintégration sensorielle. Je le constate dans de nombreuses situations : dans le vécu des enfants parentifiés devenus adultes, le corps a longtemps été un outil pour protéger, un champ de bataille pour rassurer.
Le corps doit redevenir un lieu où les gestes, les respirations, les étreintes ne sont plus au service de l’autre mais un espace d’accueil pour soi-même. Retrouver un corps qui respire pour lui-même, c’est déjà libérer un premier espace d’accueil.
Et dans la sexualité, cela se traduit par un geste simple : donner au plaisir un droit de cité, sans honte ni culpabilité.
Le couple comme lieu de réciprocité
Mais la transformation ne s’arrête pas à la réconciliation du corps. Elle s’étend dans le lien, là où la parentification a laissé ses traces : la croyance que l’amour est un contrat de soins, que l’un doit toujours veiller sur l’autre.
Serge Tisseron (2009) décrit très bien ce processus : la loyauté invisible de l’enfant parentifié devient une scène répétée dans le couple adulte – l’un soigne, l’autre reçoit - et la tendresse se confond avec la vigilance.
C’est ici que le travail thérapeutique sur déparentification prend tout son sens. La déparentification vient redessiner l’amour en un lieu de réciprocité : oser demander, recevoir et donner, sans hiérarchie ni peur de mal faire.
Dès lors, le corps et le couple s'allient et s’alignent pour aller vers un corps qui s’autorise à ressentir, un couple qui s’autorise à partager. C'est pas facile, mais ça vaut le coup.

La déparentification : vers un chemin incarné et un éveil spirituel
Elena Blacioti (2020) décrit la déparentification comme un processus clinique essentiel pour réparer les frontières intérieures et redonner à l’adulte la place qui lui revient. Elle met l’accent sur la reconnaissance du rôle inversé, la restitution de la place de l’enfant et l’importance de l’alliance thérapeutique pour accueillir cette transformation.
Dans mes accompagnements, j’aime m'appuyer sur son approche et élargir sa vision en l’enracinant dans le corps et dans l’instant :
Pour moi, la déparentification ne se joue pas seulement dans les mots, mais aussi dans le souffle, le geste, la présence à travers de mutiples outils :
✔️ La respiration consciente : un espace où l’enfant intérieur peut enfin poser son fardeau.
✔️ La danse intuitive : pour sentir le mouvement libre et renouer avec l’élan de vie.
✔️ Les massages réciproques : pour redécouvrir la douceur du toucher sans performance.
✔️ Les caresses lentes et silencieuses : pour offrir au corps un chant de tendresse.
✔️ Les silences partagés : pour accueillir l’écoute et la présence, au-delà des mots.
Dans la sexualité, ces gestes simples ouvrent la voie à un corps qui redevient un espace d’accueil, voire un espace sacré, où le plaisir circule comme un murmure de vie, libre et vivant.

Quelques questions d'introspection
Corps et plaisir : de l’enfant vigilant à l’adulte libre
1️⃣ Est-ce que tu sens ton corps comme un espace de sécurité ou plutôt comme un lieu de vigilance ?
2️⃣ Quand tu te laisses respirer profondément, qu’est-ce qui surgit : de la peur, de la honte, ou un élan de vie ?
3️⃣ As-tu remarqué des gestes ou des postures qui te font sentir encore "en service" pour l’autre ?
4️⃣ Ton plaisir te semble-t-il un droit, un risque ou une contrainte ?
5️⃣ Dans l’intimité, cherches-tu à recevoir ou restes-tu toujours “en train de deviner” l’autre ?
Couple et réciprocité : la danse du donner et recevoir
6️⃣ Dans ton couple, oses-tu demander sans crainte de déranger ?
7️⃣ Quand tu reçois un geste tendre, est-ce que tu te sens vraiment disponible pour l’accueillir ?
8️⃣ As-tu parfois l’impression que l’amour doit se mériter ou se prouver ?
9️⃣ Quels sont les endroits où tu restes encore dans la posture de “celui/celle qui veille” ?
Peux-tu imaginer la sexualité comme un espace de jeu libre, plutôt qu’un lieu où il faut bien faire ?
La mémoire de l’enfant parentifié
1️⃣1️⃣ Te souviens-tu du moment où tu as compris que tu devais être fort·e pour l’autre ?
1️⃣2️⃣ Quel est le besoin que ton enfant intérieur n’a jamais osé exprimer ?
1️⃣3️⃣ Quelle partie de ton corps reste tendue dès que tu as peur de “mal faire” ?
1️⃣4️⃣ Est-ce que tu entends encore la voix de l’enfant qui veut protéger, coûte que coûte ?
1️⃣5️⃣ Si ton enfant intérieur avait un geste de tendresse à offrir aujourd’hui, quel serait-il ?
Éveil spirituel et libération de la parentification
1️⃣6️⃣ Quand tu inspires, est-ce que tu sens la permission de prendre ta place, ou un reste de devoir ?
1️⃣7️⃣ Quels rituels corporels ou sensoriels te permettraient de poser les armes de l’enfant-soignant ?
1️⃣8️⃣ Te sens-tu légitime à "habiter" ton corps pour ton propre plaisir, sans culpabilité ?
1️⃣9️⃣ Quel premier pas aimerais-tu faire pour libérer ton corps et ton désir de la parentification ?
2️⃣0️⃣ Qu’aimerais-tu dire à ton corps, aujourd’hui, pour honorer sa fatigue et son courage ?
Ces questions sont un premier pas pour explorer la libération de la parentification, la sexualité adulte consciente et la guérison du corps.
Et maintenant ? Choisis une de ces questions et prends un moment pour l’écrire, la murmurer ou la respirer. C’est là que commence la transformation.

Conclusion
Comme nous venons de le voir, la parentification est une blessure d’enfance qui inverse les rôles : l’enfant devient gardien des émotions des adultes, au lieu de grandir librement. Cette inversion laisse des traces profondes, forgeant un rapport au corps et à la sexualité marqué par la vigilance et la peur de “mal faire”.
Nommer la parentification, c’est déjà poser un premier acte de libération
La libération de la parentification n’est pas qu’un processus mental : elle est un chemin corporel et spirituel. Elle demande de réhabiliter le corps comme un temple vivant, de redécouvrir la sexualité comme un espace sacré et de réinventer le couple comme un lieu de réciprocité.
Ce chemin est un pont vers un amour plus vaste,
une sexualité adulte plus libre, vers un lien enfin fluide et joyeux dans le couple.
Si toi aussi tu ressens cet appel à libérer ton corps et ta sexualité après avoir vécu une enfance parentifiée, je t’invite à rejoindre mes accompagnements :
“Voyage au cœur de soi” et “Traversez la blessure d’amour” sont des espaces profonds pour libérer ta sexualité, honorer ta vulnérabilité et redonner à ta relation sa dimension sacrée.
Bibliographie
-
Blacioti, E. (2020). La déparentification ou l’élaboration de la parentification dans la psychothérapie. Dialogue, 229, 165–183.
-
Boszormenyi-Nagy, I., & Sparks, G. M. (1973). Invisible loyalties. Routledge.
-
Haxhe, S. (2011). Vous avez dit « parentification » ? Revue du concept et réactualisation selon les derniers résultats empiriques. Thérapie Familiale, 32(2), 253–271.
-
Le Goff, J.-F. (1999). L’enfant, parent de ses parents. Paris : L’Harmattan.
-
Le Goff, J.-F. (2011). Thérapeutique de la parentification : une vue d’ensemble. Thérapie Familiale, 32(2), 189–209.
-
Roussillon, R. (1995). Le Corps et la parole. Paris : Dunod.
-
Tisseron, S. (2009). Les Secrets de famille : un obstacle à la liberté de grandir. Paris : Presses Universitaires de France.
-
Ulmann, Y. (2023). Interview dans Psychologies.com : Parentification de l’enfant – ces parents qui inversent les rôles. Récupéré de https://www.psychologies.com/.
-
Haxhe, S. (2011). Vous avez dit « parentification » ? Revue du concept et réactualisation selon les derniers résultats empiriques. Thérapie Familiale, 32(2), 253‑271. Disponible sur Cairn : https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2011-2-page-253.htm
-
Le Goff, J.-F. (2011). Thérapeutique de la parentification : une vue d’ensemble. Thérapie Familiale, 32(2), 189‑209. Disponible sur Cairn : https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2011-2-page-189.htm

NeoSoi - Dr Céline BERCION - psychologue sociale et systémique, thérapie de couple et sexothérapie - initiatrice des grandes traversées de vie
36 avenue Roger Cohé
33600
Pessac