Femmes fontaines et éjaculation féminine : comprendre le squirting et se réconcilier avec son corps
Peut-être avez-vous déjà ressenti une vague de plaisir suivie d’un jaillissement de liquide ? Ou, à l’inverse, peut-être avez-vous entendu parler des "femmes fontaines" sans trop savoir ce que cela signifiait. Entre gêne, fantasmes, tabou, fascination et confusion, ce phénomène soulève de nombreuses questions. Entre mystère, honte et fascination, l'éjaculation féminie interroge notre rapport au corps, au plaisir, à la fluidité... au sens propre comme au figuré.
Dans ma pratique de thérapeute de couple et de sexothérapeute, je rencontre souvent des femmes ou des couples un peu perdus sur ce sujet :
"Est-ce que c’est normal ?"
"Est-ce que c’est de l’urine ?"
"Pourquoi je me sens gênée ou honteuse après ?"
Mais au-delà de ces questions, ce sujet dépasse largement le cadre physiologique. Il touche à notre rapport au corps, au plaisir, à l’intimité, à la honte et, surtout, à la possibilité d’être pleinement soi dans le lien. Voilà pourquoi cet article vous concerne, que vous soyez concernée directement ou non.
Il est donc temps de démystifier ce phénomène, pour mieux le comprendre et, peut-être, mieux s’en libérer.

Définir pour mieux comprendre : éjaculation féminine, squirting, incontinence coïtale
Avant d’aller plus loin, posons les bases. En effet, les termes utilisés dans ce domaine sont nombreux, souvent confondus, et parfois source de malentendus. On confond souvent trois phénomènes physiologiques très différents.
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L’éjaculation féminine
Elle désigne l’émission d’un liquide blanchâtre, en petite quantité, produit par les glandes de Skène, aussi appelées "prostate féminine ". Ce fluide contient du PSA (antigène prostatique spécifique), un marqueur biologique bien identifié.
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Le squirting
Il s’agit d’un jet plus abondant, clair et aqueux, émis par l’urètre, souvent au moment d’une forte stimulation ou d’un orgasme. Les études montrent que ce liquide est proche de l’urine, mais peut contenir aussi une petite part de sécrétions prostatiques.
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L’incontinence coïtale
Contrairement aux deux phénomènes précédents, celle-ci est considérée comme un trouble médical. Il s’agit de fuites urinaires involontaires liées à des dysfonctionnements comme l’hyperactivité vésicale, souvent présentes en dehors des rapports sexuels aussi.
Ces trois réalités sont différentes :
L’une est un phénomène sexuel naturel, l’autre une manifestation mixte encore débattue, la dernière une problématique médicale à part entière.
Il est donc essentiel de ne pas tout confondre, pour éviter culpabilisation et pathologisation inutiles.

Voici un tableau comparatif clair, à partir des recherches de Salama et Devaux (2014), Rubio-Casillas (2011) et Zaviacic (2000) :
Phénomène |
Origine anatomique |
Apparition |
Composition |
Volume |
Ressenti |
Éjaculation féminine |
Glandes de Skène (prostate féminine) |
Orgasme ou excitation intense |
PSA, phosphatase acide, glucose |
< 1 mL |
Chaleur, vague interne |
Squirting |
Vessie (via stimulation point G et/ou point C - cervix) |
À l’apogée du plaisir ou relâchement |
Urée, créatinine, parfois PSA |
10 à >150 mL |
Libération, jet, intensité |
Incontinence coïtale |
Vessie (trouble médical) |
Pénétration ou orgasme involontaire |
Urine pure, liée à hyperactivité détrusorienne |
Variable |
Gêne, perte de contrôle |
Nota : le squirting est souvent un mélange d’urine diluée et de sécrétion prostatique, sans lien pathologique s’il n’est pas vécu comme un trouble.

Un phénomène ancien, célébré avant d’être jugé
Ce que l’on appelle aujourd’hui "squirting" ou "femme fontaine" n’est en rien une nouveauté. Bien au contraire, ce phénomène a traversé les siècles et les cultures.
Petite minute de culture générale :
- Dans l’Antiquité gréco-romaine, les fluides féminins étaient nommés liquor vitae - littéralement "liqueur de vie". On leur prêtait un pouvoir fécondant et Hippocrate y voyait même l’union des essences féminine et masculine.
- Dans la tradition taoïste, on évoque les trois eaux : la lubrification, l’orgasme et l’éjaculation féminine, vue comme un aboutissement énergétique vital.
- Le Kama Sutra affirme que "la semence de la femme coule continuellement". Loin d’être tabou, ce phénomène était alors associé au plaisir, à la fertilité et à l’harmonie du couple.
- Au Japon du XVIe siècle, ce fluide était même recueilli dans des bols appelés heikonoinho, et consommé pour ses vertus médicinales supposées. Il était considéré comme aphrodisiaque et rajeunissant. Ouais, rien que ça !
Puis vint l’ère scientifique. Et là encore, le sujet n’a pas été ignoré :
- De Graaf (1660) a décrit les glandes péri-urétrales féminines.
- Alexander Skène (1880) a identifié ces glandes comme homologues à la prostate masculine.
- Ernst Gräfenberg (1950) a étudié la zone vaginale maintenant appelée "point G ."
- Rubio-Casillas et Devaux & Salama (2011, 2014) ont analysé la composition biochimique du liquide émis lors de ces phénomènes.
Nota : Les études de Zaviacic (2000) et la classification FICAT (2001) ont officialisé le terme de prostata femina, confirmant que les femmes ont, elles aussi, une glande éjaculatoire.
En clair, ce que nous appelons aujourd’hui "squirting " est à la fois ancien, naturel, documenté, mais toujours entaché de tabous modernes. Autrement dit, ce que l’on redécouvre aujourd’hui était déjà connu, honoré et transmis depuis des millénaires. Le problème ? C’est la honte sociale, pas le liquide.

Entre plaisir, gêne et méconnaissance : le vécu émotionnel
Si ce phénomène peut être source de jouissance profonde pour certaines femmes, il est aussi souvent vécu avec ambivalence pour certaines autres.
Dans ma clinique, les femmes qui expérimentent le squirting expriment :
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Une joie intense, comme une reconnexion à leur nature sauvage, un lâcher-prise inédit,
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Une honte archaïque, comme si elles avaient transgressé une règle, une peur d’avoir "uriné",
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Une confusion, un sentiment de honte, de gêne, parfois de rejet, face à un partenaire qui ne sait pas comment réagir.
En thérapie, ce que l’on rencontre, c’est surtout une ambivalence. Entre soulagement de ressentir et peur d’être jugée. Shirley Zussman, sexologue américaine, disait à ce sujet : "Ce n’est pas un liquide. C’est une histoire d’armures qui tombent."
Par ailleurs, les études le confirment :
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80 % des femmes qui vivent ce phénomène le considèrent comme positif,
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mais près de 10 % l’associent à de la gêne, voire à de la honte.
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Plus de la moitié le relient à un plaisir différent de l’orgasme classique.
Pourquoi ce décalage ? Parce que nous manquons cruellement d’éducation sexuelle émotionnelle. Parce que notre culture tabouise ce qui déborde. Et parce que les femmes apprennent, dès l’enfance, à contrôler leur corps plutôt qu’à l’écouter.
Côté partenaires, les chiffres sont étonnants. L’étude de Wimpissinger et al. (2015) révèle que :
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90 % des hommes disent apprécier ou respecter ce phénomène,
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5 % y sont indifférents,
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moins de 1 % le perçoivent négativement.
Ce qui compte alors, c’est la qualité du lien. La capacité à accueillir. À parler. À ne pas juger. À créer une sexualité sans performance, mais avec présence.

Et si ce phénomène révélait quelque chose de votre lien ?
En thérapie, ces manifestations sont souvent des indicateurs subtils. Non pas d’un problème, mais d’une ouverture ou d’une tension dans le lien.
Certaines femmes n’éjaculent que dans des contextes de sécurité affective extrême.
D’autres, au contraire, peuvent sentir une forme d’urgence à lâcher dans une relation plus instable.
Dans certains cas, cela s’accompagne de pleurs, de souvenirs ou de tremblements.
On voit bien que ces phénomènes sont bien plus que physiques. Ils sont bel et bien psycho-émotionnels, parfois transgénérationnels et peuvent même devenir des portes d’entrée vers un travail thérapeutique plus profond.

Ce n’est pas une performance à réussir
Aujourd’hui, une pression s’installe autour du squirting. Comme s’il fallait prouver quelque chose. Mais non, mille fois non. Il est essentiel de le redire ici, avec force et bienveillance :
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Toutes les femmes ne vivent pas d’éjaculation féminine - même si toutes le peuvent potentiellement -
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Ce n’est ni un objectif,
Ni une preuve de plaisir,
Ni une attente à satisfaire. -
Cela ne veut rien dire sur votre capacité à ressentir
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Le squirting n’est pas un Graal sexuel
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Ce n’est ni une performance, ni un manque
Vous êtes déjà assez. Dans votre rythme. Dans votre ressenti. Dans votre corps.
Votre corps est juste. Votre plaisir est légitime. Et ce que vous ne vivez pas est aussi digne que ce que vous vivez.
Certaines femmes ne vivront jamais de squirting. D’autres, très fréquemment. Cela ne dit rien de leur féminité, ni de leur plaisir.
Ce phénomène n’a pas à devenir une nouvelle norme ou un nouvel idéal. Il est simplement une possibilité, parmi d’autres, dans le champ infini de la sexualité.

FAQ – Ce que vous vous demandez souvent
1. Est-ce que toutes les femmes peuvent éjaculer ?
La littérature actuelle ne permet pas d’affirmer que c’est universel. Cela dépend de l’anatomie, du contexte émotionnel et de la stimulation. Personnellement, je pense que, potentiellement, toutes les femmes le peuvent. Ce n’est ni un manque, ni une preuve. En revanche, toutes peuvent explorer leurs sensations sans se juger.
2. Est-ce de l’urine ?
Le squirting contient des traces urinaires, oui. L’éjaculation féminine proprement dite, elle, contient principalement du PSA. Le volume, la texture et le moment de l’émission donnent des indices. Un accompagnement thérapeutique peut aussi aider à poser des mots sur les ressentis corporels.
3. Est-ce que je dois consulter si cela m’arrive ?
Pas nécessairement. Mais si cela suscite gêne, douleurs ou peurs, une séance peut être aidante.
4. Est-ce normal d’avoir peur ou d’être gênée ?
Oui. Le manque d’éducation sexuelle émotionnelle, les réactions des partenaires, ou les références culturelles anxiogènes peuvent créer de la honte. Mais on peut apprendre à s’en libérer.
5. Peut-on apprendre à éjaculer ?
Il ne s’agit pas d’un objectif. Mais certaines femmes découvrent ce phénomène en thérapie, en relaxation, en confiance. Il émerge… quand il doit émerger.

Conclusion
Face à la confusion persistante entre éjaculation féminine, squirting et troubles urinaires, il est essentiel de clarifier tout cela. Les recherches de Gräfenberg, Skène, puis celles de Devaux et Salama (2014) ont permis de différencier ce qui relève d’une émission urétrale à base de PSA (prostate féminine) d’un jet vésical plus ou moins dilué. Ce n’est pas du fantasme, ni de l'urine. C’est un phénomène sexuel féminin documenté, multiple et qui mérite d’être connu sans honte ni idéalisation.
Le corps sait. Il ne ment jamais.
Mais encore faut-il l’écouter sans l’interpréter avec les filtres de la peur, du porno ou du tabou médical.
Dans les traditions taoïstes, tantriques ou encore japonaises du XVIe siècle, le liquide éjaculatoire féminin était perçu comme un fluide sacré, porteur de vitalité et de puissance. Loin d’être un phénomène "marginal", il faisait pleinement partie d’une sexualité consciente, incarnée, sensorielle.
Mais aujourd’hui, le squirting est devenu un effet de mode, voire une injonction sexuelle, véhiculée par l’industrie pornographique.
Stop ! Cette pression ajoute un niveau de performance émotionnel là où il devrait y avoir accueil, abandon et plaisir simple.
Il ne suffit pas de comprendre, il faut ressentir, intégrer, relier. Ce phénomène n’est pas qu’anatomique. Il vient souvent toucher quelque chose de plus vaste : un lâcher-prise émotionnel, une peur de se montrer pleinement, un rapport à l’intimité ou au contrôle.
Le rôle de la sexothérapie n’est pas de "normaliser" par la science, mais d’accompagner à ressentir avec sécurité, à comprendre avec douceur et à faire de chaque expérience une lecture vivante du lien à soi et à l’autre. En tout cas, c'est la vision que je me fais de mon métier.
Il est aussi essentiel de distinguer le plaisir de la pathologie. L’incontinence coïtale, par exemple, peut exister, mais elle ne doit pas être confondue avec une réponse sexuelle. Il ne s’agit ni de médicaliser à tout prix, ni de sacraliser l’orgasme-éjaculation. Le vrai enjeu, c’est la liberté de vivre son corps sans peur.
Vous êtes concerné·e par ce phénomène ? Parlons-en ensemble
Vous avez vécu un jet, un relâchement ou une gêne inexpliquée ?
Vous portez encore de la honte sur cette partie de votre plaisir ?
Je vous propose un espace thérapeutique confidentiel et sécurisant pour explorer ces manifestations du corps sans peur ni fantasme.
Je vous accueille en visio ou à Bordeaux.
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NeoSoi - Dr Céline BERCION - psychologue sociale et systémique, thérapie de couple et sexothérapie - Bordeaux et visio
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